On s’en doutait, on le redoutait, le suicide des enfants existe bien.
Jeannette Bougrab, la Secrétaire d’Etat à la jeunesse avait demandé à Boris Cyrulnik un rapport pour en être plus informée. C’est chose faite dans ce rapport, directement publié sous la forme d’un livre : « Quand un enfant se donne « la mort » », aux éditions Odile Jacob, 2011.
C’est d’ailleurs la ministre qui a voulu ce livre car, pour elle, ce livre « était une volonté délibérée et forte de dire que nous pouvons tous être un acteur de la prévention du suicide si nous savons lire et traduire les indicateurs, les signes du mal que nos enfants laissent entrevoir », indique-t-elle.

Le moins que l’on puisse dire c’est que, jusque là l’épidémiologie des suicides des enfants de 5 à 12 ans était restée bien floue. Rares sont les suicides aboutis, mais ils sont souvent masqués et n’entrent ainsi pas dans les sacro-saints chiffres officiels. Pourtant trente à cent enfants se tuent chaque année en France. Il faudrait aussi y jouter un grand nombre d’accidents mortels qui sont autant d’analogues suicidaires.

Peu de suicides sont prémédités. Certes, le plus souvent il existe une impulsion première qui, plus tard, se transforme en jeu morbide qui concoure à l’accident. Mais, comment distinguer entre un suicide d’enfant évident et un autre dit masqué ? C’est très difficile. Tout part, le plus souvent de carences non décelées. Trauma des premiers mois mal repéré, négligé affectivement et qui passe inaperçu par manque de soutien concret et, surtout, de substitut affectif, dans des milieux où l’on parle peu. L’enfant peine, alors, à rencontrer un vrai tuteur. Il se perd dans la versatilité émotionnelle qui altère son rapport à l’autre. Il est privé ainsi d’une stabilité affective qui lui aurait permis un meilleur développement.

Les conditions éducatives actuelles visent, à l’horizon, à protéger l’enfant de tout danger. Elles tendent à créer alors un monde sans peur qui démotive les enfants en les privant du plaisir d’apprendre et d’aimer, empêchant, en outre l’acquisition de la fierté de soi. La peur surmontée, pourtant, renforce l’enfant. Les préservant de toute peur, … les enfants finissent par flirter avec le danger. Ils érotisent, en quelque sorte, le risque, ce qui leur permet de constituer leur identité, bien que, quand ils courent un danger réel sans le contrôle des adultes ou de la culture, leurs comportements deviennent de véritables équivalents suicidaires. Sans pour autant qu’il existe un vrai désir de mort à la clef.

Comment alors reconnaître la tentation du suicide, tout en sachant que chez un enfant c’est encore plus difficile que chez l’adolescent ou l’adulte ?
L’enfant dépressif est morose. Il s’isole, il a peur à l’école. Il se met en colère. Il joue moins. Il a des préoccupations morbides… Oui, mais quand il n’est pas dépressif, comment repérer l’imminence d’une impulsion de passage à l’acte ? Il est bien évident qu’il existe un lien entre un appauvrissement autour du moment de la naissance et un risque suicidaire. Mais il n’y a pas nécessairement un lien de causalité rigoureux entre une difficulté périnatale précise survenue à ce moment de la vie et un futur suicide de l’enfant. Même lorsque la vulnérabilité neurologique est acquise, il faudra, néanmoins, un évènement, un drame insupportable dans l’actuel, pour déclencher le passage à l’acte.

Et l’auteur de conclure ainsi :
« La seule donnée fiable à 100%, c’est que, si l’on ne fait rien, on laissera venir tout ce qui mène à la mort. Mais si l’on prend des décisions médicales, familiales, éducatives, scolaires et culturelles, on aura un retour sur investissement qui a été déjà évalué : plus on investit tôt, plus les résultats sont bénéficiaires. Cette politique de prévention devra s’orienter :

- sur le développement de la personne : génétique, conditions de grossesse, structure de la niche affective des premiers mois, modèles identificatoires familiaux, fratries ;
- sur les structures d’alentour : fonctionnement familial, culture des quartiers, école, activités périfamiliales, loisirs. »

Mais l’auteur se fait aussi anthropologue en ajoutant : « Les récits culturels ont une fonction importante : les mythes, préjugés et stigmatisations peuvent provoquer des épidémies de suicide, alors que des explications ou des récits valorisants les empêchent. »