L’émission « On n’est pas couché » du samedi 30 septembre 2017 sur France 2 a opposé la chroniqueuse de l’émission, Christine Angot à une invitée, Sandrine Rousseau, venue faire la promotion de son livre intitulé Parler.
L’échange a porté sur la difficulté des femmes à parler du choc qu’a été pour elles une agression sexuelle et de ce qui en a suivi.

Femme politique ayant fait partie de la direction du parti écologique, Sandrine Roussseau dans son livre, reproche à ses camarades militants leur manque de réaction et leur silence quand elle a été agressée sexuellement par un député de leur parti. Elle a pris conscience à cette occasion que la parole des femmes n’était pas entendue ni même écoutée et qu’elle dérangeait les gens. Elle a porté plainte, mais trop tard pour que l’agresseur puisse être condamné (pour des raisons de prescription) et elle a quitté la direction du parti écologique et créé l’association PARLER puis écrit le livre qu’elle est venue présenter. Elle est fière du travail de son association qui a entre autres « formé des gens pour accueillir la parole des femmes ».
Sur ce qu’elle a vécu lors de cette épreuve elle refuse de revenir et évoque seulement le sentiment d’avoir été niée en tant que personne par son agresseur. Elle est dans l’action, son but étant de faire bouger les choses.

Ecrivain et se revendiquant comme telle, Christine Angot a été victime de viol au sein de sa famille quand elle était enfant. On le sait car elle a évoqué cette épreuve dans un de ses livres. On peut penser qu’elle est forcément sensible au sujet apporté par Sandrine Rousseau et en tant que chroniqueuse, on attendait d’elle plutôt de l’empathie. Ce ne fut pas le cas. Nous l’avons vue réagir physiquement à la formulation « former des gens pour accueillir la parole des femmes ». Elle s’est exclamée que c’était « du blabla ». Elle n’est pas d’accord avec les discours des féministes et leurs procédures, comme de faire signer des pétitions. Elle n’en signe aucune, affirmant : « Je ne fais pas partie d’une brochette de victimes ». Accueillir la parole de l’autre est pour elle une affaire d’humanité. C’est rare. Evidemment qu’on est seule ! Il faut se débrouiller face à ça.

Elle s’est débrouillée, d’abord avec les moyens d’une enfant et plus tard, elle en a fait une partie de la matière de son œuvre.

Elle a alors enchaîné en critiquant la manie de vouloir féminiser les mots français, parler d’une « auteur.e., d’une écrivain.e., d’une docteur.e.. Elle a ajouté : « Quand on pense à un écrivain, on voit quelqu’un qui écrit et quand on parle d’un.e. écrivain.e. , on voit une bonne femme ».
Il est vrai que la langue française, à l’inverse de l’allemande se prête mal à la féminisation des titres et des métiers et que le besoin de féminiser ces noms vient de l’évolution du statut des femmes dans le monde du travail. Il n’empêche que les femmes qui occupent un statut social valorisant ont de ce fait l’impression parfois de ne pas être tout à fait légitimes.

En fait, les deux femmes ne parlent pas de la même chose : Sandrine Rousseau parle de l’accueil des victimes par des professionnels bien formés, comme on en trouve désormais dans les services de police, les hôpitaux, les associations d’écoute. La bonne volonté n’y suffit pas. Il faut de l’empathie et de la compassion. Elles s’apprennent ; on s’y entraine. Ecouter avec bienveillance est un métier. Tout le monde ne peut pas le faire non plus. Comme femme politique, elle s’est investie dans l’action, insistant : il faut encourager les femmes à sortir du silence et les hommes à les aider car ils ont des mères, des sœurs, des femmes. Son discours est tourné vers l’action militante.

Christine Angot visiblement a dû « se débrouiller avec ça ». Et ce « Ça » remonte au cours de l’échange sous la forme d’une sorte de rage. Fière elle refuse la position de victime et revendique d’être une personne unique, un individu. Pour elle, parler, c’est quelqu’un qui parle seul et quelqu’un qui écoute, chose assez rare. Cela implique de la générosité.

L’écrivain a choisi le combat personnel, la création d’une œuvre ; la militante politique le combat politique et collectif.

Sur le constat que la société patriarcale donne encore aux femmes une position inférieure et laisse dans les mentalités des traces difficiles à transformer, tout le monde est d’accord. Mais ce soir-là, la scène entre les protagonistes a eu l’intérêt de faire toucher du doigt les conséquences du déni des dommages faits aux femmes agressées sexuellement et l’importance que ces agressions soient reconnues et punies. Cela passe par leur dénonciation. Cela suppose aussi de dépasser le sentiment de honte qui accompagne tout ce qui relève des comportements sexuels. N’est-ce pas cette honte qui empêche les femmes de parler ?

L’agression sexuelle est comme toute agression le choix d’un rapport de force entre deux personnes ou à l’intérieur d’un groupe, le groupe fonctionnant comme complice le plus souvent et l’agressé se retrouvant souvent seul. C’est ce qui se passe lors du harcèlement scolaire. Ce que ressentent les victimes est indicible, impossible à partager. Les deux femmes ce soir-là l’ont dit clairement.

Il n’y avait personne sur le plateau pour analyser ce qui se passait entre elles sous les yeux du public. Ce n’est effectivement pas le métier et la compétence des animateurs. On aurait pu voir qu’elles reproduisaient sur le plateau le processus traumatique qu’elles avaient vécu : ni l’une ni l’autre n’est arrivée à se faire entendre ni des deux animateurs de bonne volonté, mais à cent lieues de comprendre ce vécu indicible, ni non plus de la femme qui était en face d’elle et qui dans sa détresse n’était plus capable de la seule réponse possible : la compassion face à la douleur de l’autre.

Agnès Le Guernic, octobre 2017