Dans mon enfance, j’ai été très impressionnée par le conte de Charles Perrault* appelé « Les fées ». C’est un conte très court qui offre une métaphore saisissante de la communication interpersonnelle.
La manière de s’adresser aux autres y est figurée selon le cas par des fleurs et des pierres précieuses ou par des serpents et des crapauds.
L’histoire est celle de deux sœurs : la cadette, vrai portrait de son père était « l’une des plus belles filles qu’on eût su voir » ; l’aînée qui ressemblait à sa mère était désagréable et orgueilleuse comme elle. La mère chérissait son aînée et avait une aversion effroyable pour la cadette qu’elle faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse. Un jour que cette pauvre enfant était allée chercher de l’eau à la fontaine, elle s’entendit demander à boire par une pauvre femme. Elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine et fit en sorte que la pauvre femme puisse boire aisément. La pauvre femme qui était une fée déguisée en femme du village, en récompense de son honnêteté, lui fit un don : « A chaque parole que vous direz, lui dit la fée, il vous sortira de la bouche ou une Fleur, ou une Pierre précieuse ». Lorsqu’elle dut s’expliquer sur son retard à sa mère, quel ne fut l’étonnement de cette dernière en lui voyant sortir de la bouche roses, perles et diamants. La mère souhaitant que son aînée bénéficiât du même avantage, l’envoya à la fontaine avec la consigne de donner à boire « bien honnêtement » à la pauvre femme qui se présenterait et le lui demanderait. L’aînée y alla en grondant et quand la fée se présenta en demandant à boire, ayant revêtu l’apparence d’une Princesse pour voir jusqu’où irait sa « malhonnêteté », elle se fit rembarrer par elle : « Justement j’ai apporté un Flacon d’argent tout exprès pour donner à boire à Madame !..Buvez à même si vous voulez » . La fée la trouvant bien peu obligeante lui donna le don inverse de celui de sa sœur : « A chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent, ou un crapaud ». La mère furieuse de ce résultat jeta la responsabilité sur sa cadette qui s’enfuit dans la forêt. Elle y rencontra un Prince qui lui fit raconter son histoire et en tomba amoureux. Sa sœur se fit tant haïr que sa propre mère finit par la chasser et qu’elle alla mourir au coin d’un bois. |
Ce conte est plein d’enseignements. Il parle de l’amour des parents qui n’est pas forcément en rapport avec les qualités et le mérite des enfants. Il dit clairement que l’amour pour l’enfant trop chéri peut le mener à sa perte. C’est le cas pour la fille aînée qui finit par se faire détester même de sa mère et alla mourir au coin d’un bois.
Il parle de la nécessaire intégration dans le groupe social grâce à l’application des règles de civilité que l’on nommait « honnêteté » au 17ème siècle : respect de ses parents et des personnes plus âgées, attentions à l’égard des faibles. Il avertit contre la tentation de se fier aux apparences. Il évoque la civilité comme un capital qui permet de s’élever dans le monde et de trouver le bonheur.
Dans cette notion de civilité, on retrouve les deux éléments de la théorie de l’analyse transactionnelle que nous avons déjà rencontrés : les signes de reconnaissance et les positions de vie. Nous trouvons du côté de la cadette l’attention aux autres et la prise en compte de leurs difficultés (la jeune fille fait en sorte que la pauvre femme boive aisément). Du côté de l’aînée, c’est le langage désobligeant et l’ironie (J’ai apporté un flacon d’argent pour donner à boire à Madame !), la désinvolture et l’absence totale de souci de l’autre (Buvez à même si vous voulez !).
Tout ceci me rappelle une anecdote.
En rentrant chez moi l’autre soir, j’ai dépassé un couple sur le trottoir. La jeune fille disait d’un ton vif à son copain : « Si chaque fois que je te demande une clope, tu… ». Il a répondu : « Ce n’est pas ça ! C’est la manière ! »
Il avait mis le doigt sur ce qu’on appelle « un problème de communication », la question de la manière que j’ai développée dans mon premier livre**.
Il n’y a pas « une bonne manière », ça non ! Mais il y a des manières de s’adresser aux autres qui sont plus acceptables ou plus judicieuses ou plus efficaces selon les circonstances. Il y a surtout que nous avons chacun notre manière ou nos manières de nous adresser aux autres. Nous n’avons pas conscience de ce qu’elles sont, parce que nous faisons ce que nous savons faire, c’est à dire ce que nous avons appris à faire, enfants, ce qui s’est peut-être un peu modifié dans l’âge adulte et qui nous amenés là où nous sommes en ce moment, vous qui lisez ce que j’écris et moi qui ai souhaité vous entraîner dans cette aventure : trouver un guide pour comprendre, pour décoder la communication et la relation, pour en parler et éventuellement la modifier, en fonction des personnes et des circonstances.
Je vous propose deux manières de décrypter cette scène, la première avec l’analyse systémique (école de Palo Alto) et la deuxième avec l’analyse transactionnelle.
La scène entre ces deux jeunes gens peut se décrire en ces termes : le jeune homme oppose le contenu de ce que dit son amie, qu’il accepte (la demande de cigarette) à la relation qu’elle induit par son ton rogue, sa brusquerie, l’expression de son visage. Cette relation, il la perçoit peut-être comme une pression. Elle prend la position haute, exige ; Il n’est pas d’accord !
En le disant, il change de niveau : il parle de leur relation et peut se donner des chances de la transformer. C’est une méta- communication sur leur relation.
Le jeune homme montre une certaine souplesse, ce qui témoigne d’un fonctionnement sain. Certains pourraient être bloqués dans une position rigide. Ce serait le cas s’ils voulaient à tout prix garder la position haute, quitte à entrer dans un rapport de force allant jusqu’à la menace et la violence.
Pour décrire cette scène avec l’analyse transactionnelle, je dirai que l’échange entre eux est à un double niveau : au niveau du discours, elle se plaint et au niveau du ton, elle fait des reproches. C’est le niveau du ton qui l’emporte. Les analystes transactionnels parleront d’un stimulus à double fond induisant un processus qui vise à mettre l’autre mal à l’aise. La réponse du jeune homme croise ce stimulus en se plaçant au plan de l’analyse de ce qui se passe et de ce qu’il constate. Il a un mot simple pour en parler : il oppose le contenu et la manière.
Ces deux théories nous apportent des outils pour décoder ce qui se dit et se fait devant nous.
Nous sommes en effet parfois comme des spectateurs, cherchant à comprendre ce qui se joue entre les gens : ces enfants qui se disputent, ce couple qui se satisfait d’une relation où chacun dévalorise sans cesse l’autre ; ces hommes politiques si haut dans les sondages , si bas ensuite, ces chefs si sûrs d’eux, inébranlables dans leurs discours jusqu’à la chute, mais aussi ces personnes qui, mine de rien, arrangent les disputes, négocient avec sécurité, se font respecter, s’opposent sans blesser, n’hésitent pas à reconnaître leurs erreurs et savent dire leurs sentiments sans façon.
Pour en revenir à notre conte de fées, on peut dire que les fleurs et les pierres précieuses figurent la richesse des échanges et le plaisir qui en découle , alors que les grenouilles et les serpents figurent la peur et l’aversion qui en résultent.
A terme les enfants, selon la manière dont ils se conduisent et s’expriment, pourront ou non s’adapter aux normes de la société dans laquelle ils sont obligés de vivre.
Nous pouvons, en revanche, les aider à grandir et à communiquer de manière civile pour leur éviter de finir comme l’aînée des deux sœurs que même sa mère a fini par rejeter !
Paris, 15 octobre 2009.
* Perrault : Contes, Flammarion
** Agnès Le Guernic : Etats du moi, transactions et communication, Savoir enfin que dire après avoir dit Bonjour, InterEditions, novembre 2004.