Les clients pour le burn-out sont généralement présentés comme des professionnels perfectionnistes, passionnés par leur travail et qui se laissent grignoter progressivement par lui. Les signes de reconnaissance qu’ils attendent en retour ne viennent jamais assez nombreux et ils finissent par craquer, vidés d’énergie et dans les cas les plus graves, comme morts psychiquement. Le plus souvent, l’entourage n’a rien vu venir.
La multiplication de ce phénomène s’explique socialement par la porosité des frontières entre la vie professionnelle et la vie privée, suite au développement des machines de communication qui font entrer jusque dans la chambre les messages et les préoccupations de la vie professionnelle. Il faut savoir arrêter son téléphone professionnel et mettre au repos son ordinateur, ce que peu de gens sont capables de faire.
Par quel processus les personnes les plus investies dans leur travail se retrouvent-elles dans cet état de destruction et de désespérance ? Pour les analystes transactionnels cela a à voir avec la manière dont nous avons été acceptés, enfants, avec nos sentiments véritables et nos comportements spontanés.
Fanita English* a décrit ce phénomène qu’elle nomme parasitage. C’est un fonctionnement installé dans la petite enfance où l’on voit les parents et l’entourage en général faire pression sur l’enfant pour qu’il cesse de manifester des émotions qui les dérangent et adopte des comportements qui répondent aux exigences sociales. Les émotions et les comportements spontanés correspondant aux besoins de l’enfant font l’objet d’un tri et certains sont progressivement éliminés. Pour être accepté et reconnu, l’enfant renonce à montrer les sentiments qu’il ressent et que son entourage réprouve. Il refoule ses vrais sentiments au point qu’il n’en a plus conscience et manifeste seulement les sentiments qui sont acceptés par l’entourage. Même chose pour les comportements. On appelle cela la socialisation. L’enfant cherche à plaire. Il s’adapte, ce qui implique que la palette de ses sentiments et de ses comportements se restreint. Il a de la chance si on lui apprend à contrôler ses émotions et ses gestes sans y renoncer. Les sentiments et comportements que l’on nomme « parasites » sont suradaptés et inauthentiques, ils sont donc perçus comme « en toc », comme « du cinéma » comme « forcés », une fois quitté le cadre familial qui les a favorisés. Les parasiteurs sont perçus comme des gens qui en font trop.
Les rôles de genre se construisent ainsi : aux filles, la douceur, la gaîté (mais pas trop !) ; aux garçons, la colère, l’agressivité, la prise de risque. Dans le domaine du travail c’est pareil : aux unes la patience, l’endurance, aux autres l’initiative, le défi, la performance comme un exploit. Chaque famille a ses exigences vis à vis des enfants ; chaque type de société aussi. Ils reçoivent des signes de reconnaissance positifs pour les sentiments et comportements convenus, des signes de reconnaissance négatifs pour les autres. Or les sentiments sont des manières de communiquer qui répondent au besoin de l’instant : celui qui montre sa peur a besoin d’être rassuré ; celui qui montre sa joie a besoin de la partager ; celui qui montre sa tristesse attend d’être consolé et celui qui montre sa colère a besoin qu’elle soit prise en compte et que le dommage subi qui l’a provoquée soit reconnu et réparé. Si la réponse et les signes de reconnaissance ne viennent pas ou viennent en nombre ou qualité insuffisante, la personne n’est pas nourrie. Elle agit de plus en plus en fonction de ce qui est conforme croit-elle à l’attente de l’entourage, mais ne reçoit pas de réponse : Elle aurait voulu montrer sa détresse pour être consolée, mais elle crâne et fait la fière, ce que ses parents attendaient d’elle autrefois. Au lieu d’être consolée, elle se fait rejeter. Elle insiste, mais plus elle en fait, moins on la reconnaît. Les signes de reconnaissance positifs se raréfient et finissent par manquer. Les professionnels performants se trouvent ainsi pris au piège. Ce qu’ils font de bien paraît normal à tous. La personne se sent invisible. Elle finit par craquer. Elle se retrouve comme un petit enfant en proie au désespoir et à l’impuissance. Le risque de passage à l’acte avec violence contre soi ou contre l’autre est réel.
Les personnes susceptibles de faire un burn-out appartiennent à la catégorie des parasiteurs qui investissent leur état du moi Parent et qui attendent des signes de reconnaissance pour tout ce qu’un parent est capable de faire : s’occuper des autres, organiser, anticiper, remplacer les gens défaillants, exiger le maximum de soi. Ils se sentent responsables, veulent toujours faire mieux et attendent des signes de reconnaissance qui ne sont jamais les bons ni assez nombreux. Quand on leur en donne, ils disent « C’est normal ! Il n’y a pas de quoi en faire un plat ! » L’entourage cesse d’en donner puisque c’est normal. Par ailleurs on s’habitue facilement aux performances des autres. On se dit : c’est leur caractère. Ils font ça naturellement ! Personne n’imagine que derrière le professionnel aguerri il y a un petit garçon ou une petite fille qui s’efforce désespérément de faire ce qu’il imagine qu’on attend de lui ou d’elle pour être accepté(e). La personne ignore cette dimension d’elle-même.
On dit que même les mères de famille perfectionnistes peuvent être victimes de burn-out. C’est qu’elles s’occupent de leur petit et de leur maisonnée comme si c’était un travail nécessitant toujours plus de performances. Cette idée de performance est un poison quand elle se place là où elle ne devrait pas être. Il suffit d’être bon, avec le droit de se tromper aussi.
L’autre catégorie de parasiteurs, ceux qui attendent des signes de reconnaissance pour leur état du moi Enfant fonctionnent plutôt dans le charme, la séduction. Ils ne risquent pas de laisser leurs responsabilités envahir leur vie. Ils apparaissent plutôt légers, inconséquents, mais suscitent l’indulgence au travail comme dans leur famille.
Que faire quand vous voyez un proche glisser doucement vers le burn-out ?
L’urgent n’est pas de donner des signes de reconnaissance à la personne pour les qualités de son Parent, mais de venir au secours de l’Enfant qui est négligé et dont les besoins sont niés. Lui faire toucher du doigt qu’il a des besoins et lui apprendre à les accepter et à les satisfaire. L’état du moi Enfant trouve son compte dans les relations familières, bienveillantes, les plaisirs de base comme de jouer, se distraire, manger de bonnes choses, jouir de la compagnie de ses amis et de sa famille. On le maternera ; on le distraira ; on le fera masser, prendre un bain relaxant, un bon déjeuner. On l’entrainera dans des activités créatives, des petites fêtes. On lui fera cadeau de livres drôles, de sketches. On protègera son repos. On lui expliquera que la seule façon de continuer à bien travailler c’est de savoir s’arrêter et de faire autre chose qui donne du plaisir. Il doit apprendre à séparer la vie professionnelle de la vie personnelle, à équilibrer sa vie.
La négation de ses besoins risque d’être forte. Il faut le convaincre. Je demande souvent à des personnes stressées : prenez-vous des bains ou des douches ? Pour les hommes, le bain paraît trop souvent une preuve d’amollissement. C’est un préjugé : hommes et femmes ont tous besoin d’être maternés de temps en temps. Est bon tout ce qui fait du bien et vient au bon moment.
Pour les analystes transactionnels, chacun des trois états du moi qui constituent notre personne a son importance : l’Enfant avec son énergie, l’Adulte avec son objectivité et sa mesure, le Parent avec son attention aux autres, mais aussi avec le souci de la protection personnelle.
A ceux et celles qui s’engagent dans la vie professionnelle (et dans la maternité) je dirai que le plaisir dans le travail est précieux. Il s’entretient comme une flamme. Dans les moments de stress, il peut disparaître. Gardons–en donc la braise sous la cendre pour le faire redémarrer au plus vite.
Paris. Mai 2014
* Fanita English : Qui suis-je face à toi ? Hommes et groupes.
Voir aussi le chapitre sur le parasitage dans Agnès Le Guernic : Sortir des conflits. InterEditions.