Pour l’analyste transactionnelle que je suis, la nouvelle manière de parler en politique est stupéfiante. Il s’agit de la manière de communiquer de notre Président. On est passés de la langue de bois généralisée chez les politiques avec dévalorisation de tout ce qui n’est pas de son camp à un style très direct de type assertif avec un parti pris de franchise (Je dis ce que je pense) et la volonté de rester dans une dynamique positive (le respect de l’interlocuteur). Les journalistes déroutés continuent de parler de « com ». Elle est qualifiée tantôt de « bonne com », tantôt de « mauvaise com ». Ils se demandent qui est le conseiller en communication, se situant spontanément dans le domaine de la construction d’image et de la promotion. Certes cette communication est la plupart du temps sous contrôle. Aucun professionnel ne peut se permettre de dire sans réfléchir tout ce qui lui passe par la tête, sauf peut-être le nouveau président des Etats-Unis. Il n’empêche qu’elle est d’abord la manière choisie par une personne pour s’adresser aux autres. C’est un type de communication courante chez les psys, ceux dont le métier est de créer une relation positive avec leurs clients pour pouvoir les aider. En politique elle est rare. Je pense à la formule du « parler vrai » de Michel Rocard. Pour moi, c’est la manière moderne d’aborder la communication interpersonnelle, une manière plus adaptée à la démocratie. La société civile plus instruite, mieux informée, ne supporte plus ce qu’on appelle le « politiquement correct » et la langue de bois. Elle attend autre chose.

Comment décrire cette manière de s’exprimer ? Je parle de la manière dont nous nous comportons dans nos interactions avec les autres que ce soient des individus ou des groupes. Quels outils pour décrire les interactions dans la communication directe ? L’analyse systémique nous parle de position dans la relation* ; l’analyse transactionnelle de transactions.

La position dans la relation peut être haute, basse ou égale. Ainsi face à l’autre je peux me mettre en position haute. Dans ce cas, je lui dis ce qu’il doit faire, je le critique, le menace ou l’encourage comme si j’étais son père ou sa mère ou son prof et qu’il était un petit enfant. Les gens détestent être jugés. Ils se sentent humiliés, mais cela n’empêche presque personne de faire la leçon aux autres. Les réactions sur twitter sont instructives de ce point de vue. Les critiques abondent et les réactions sont vives et souvent grossières.
Il y a des manières positives de diriger les autres en particulier quand la relation est statutaire : parents /enfants ; dirigeants/dirigés ; soignants/soignés. Elles requièrent de l’habileté et une attitude positive, ce que l’analyse transactionnelle appelle « okness ». Mais avec la croissance du niveau d’éducation et la pratique démocratique, elle est de moins en moins acceptée, même quand elle se veut positive. Les gens ne veulent pas être commandés, même sur un lit d’hôpital. Je connais un enfant qui traite de « commandeur » une grande personne qu’il trouve trop directive.

En complément de la position haute, il y a la position basse. Elle peut être automatique ou assumée et voulue quand on demande un service, un conseil ou une aide. Les règles de la politesse passent par des formulations en position basse : l’emploi du conditionnel, la formule « S’il vous plaît ». Elle réclame quelques habiletés aussi. Une bonne partie de l’éducation des enfants passe par l’apprentissage de ces formulations et des attitudes corporelles qui leur correspondent. Certains métiers gagnent à la développer : celui de psychologue, d’accompagnant, d’écoutant où l’on s’efface et où l’on se met au service de l’autre ce qui oblige à obtenir des informations sur ce qu’il attend. On parle parfois de « fausse position basse ». Je dirais que la position haute ou basse peut être soit automatique, soit volontaire.

La position égale consiste à se sentir et se positionner comme à égalité, hors de tout rapport de force ou de domination. Elle peut cacher une compétition (je vaux autant que toi) ou privilégier négociation et alliance. C’est la position démocratique qui implique respect de l’autre en dehors de toute soumission ou recherche d’emprise. Le terme de respect est ambigü en effet : ceux qui demandent le respect peuvent demander la simple acceptation, mais parfois aussi la reconnaissance de leur supériorité.
La souplesse dans la manière de se positionner dans la relation est une aptitude importante qu’on doit développer si l’on veut réussir dans certaines métiers ou situations.

Avec l’analyse transactionnelle, on peut aller plus loin dans la description. Les échanges, nommés « transactions » (stimulus+ réponse) peuvent être complémentaires et dans ce cas ils se déroulent tranquillement : on est sur la même longueur d’onde. Les transactions de la communication directe sont au niveau égal :

- dans un échange d’informations, le stimulus part de l’état du moi Adulte de l’émetteur et vise l’état du moi Adulte du récepteur ; la réponse est complémentaire (schéma avec flèches parallèles). L’état du moi Adulte est la partie de la personne en contact avec la réalité interne ou externe.

- Dans l’échange d’opinions, il se fait de l’état du moi Parent à l’état du moi Parent. L’état du moi Parent contient en effet notre héritage en termes de valeurs, d’opinions et de représentations du monde.

- Dans l’échange ludique ou émotionnel, il se fait d’état du moi Enfant à Etat du moi Enfant. L’état du moi Enfant contient les pensées, sentiments comportements anciens de l’enfant que nous avons été. L’humour utilise ce canal quand il est bienveillant alors que l’ironie se manifeste dans une transaction depuis l’état du moi Parent qui se moque vers l’état du moi Enfant qui subit.
Chaque canal a ses particularités physiques et de langage et se prête à la description, donc à l’apprentissage.

La communication directe se fait d’Adulte à Adulte. Les accords et les désaccords passent par des messages-Je : « je ne suis pas d’accord ! » Les oppositions même fortes sont formulées en passant par l’expression des points de vue : « Je pense que vous vous trompez, que vous nous trompez ». Les opinions s’expriment dans un langage centré sur les faits, les observations, les constats.

Position dans la relation et transactions sont à compléter par la notion d’Okness, c’est à dire le fait d’être OK, de se percevoir comme quelqu’un de bien face à une autre personne qui est aussi quelqu’un de bien. C’est ça la bienveillance, une attitude d’acceptation de l’autre et de soi dans le respect de l’autre et de soi. Quand c’est le cas, on dit en analyse transactionnelle que la personne est en ++. Si elle se voit mieux que l’autre, elle se dira en +- ; si elle se perçoit comme moins bien ou inférieure à l’autre, on la dira en -+. Enfin si elle est profondément convaincue que personne n’est bien et surtout pas le monde, on la dira en --. Chaque position a tendance à faire surgir en face la position complémentaire : celui qui se positionne en inférieur invite l’autre à prendre la position +-  (soumission invitant à l’assurance, voire l’arrogance); celui qui se positionne comme supérieur invite l’autre à se placer en position inférieure (critique entrainant soumission). Celui qui est dans la désespérance invitant l’autre à le rejoindre. La position OK++ est dynamique. Elle invite à la coopération et à l’optimisme. Elle n’exclut pas la franche opposition et le réalisme.

Pour décrire en quoi une attitude s’écarte de la bienveillance, on passera de la position où je pense que je vaux mieux que l’autre (voir la position perpétuellement critique) à la position où je pense que je ne vaux pas grand chose (voir la position de dévalorisation personnelle) puis à la position où nous ne valons pas grand chose ni l’un ni l’autre, positionnement global que l’analyse transactionnelle décrit sous le modèle d ‘enclos OK. Seule la position : j’ai de la valeur et vous avez de la valeur permet d’avancer ensemble et de résoudre les problèmes. Elle n’empêche pas les oppositions sur le fond ; elle n’évite pas de regarder les contenus, mais c’est une bonne base pour les négociations et les compromis.

L’attitude de bienveillance recommandée lors de la campagne par le futur président de la république même à l’égard de ses adversaires a étonné et choqué beaucoup de personnes. Et pourtant, nous sommes las bien souvent d’entendre le personnel politique d’un bord critiquer en termes violents tout ce que leurs adversaires pensent avoir réalisé de bien. Une attitude ouverte vise à sortir du piège de l’anathème perpétuel : considérer l’adversaire politique comme un ennemi conduit à renoncer à la paix et à la prospérité, car on trouve toujours un coupable pour ce qui ne va pas dans son sens. Mais c’est plus facile à recommander qu’à faire.

La communication directe où l’on dit franchement ce que l’on pense et ce à quoi l’on croit sans se dévaloriser ni dévaloriser l’autre réclame tout un apprentissage de langage et de comportement. Je constate que c’est ce dont nous avons le plus besoin dans les familles, les écoles, les entreprises, les organisations et les instances politiques. C’est ainsi que nous deviendrons une démocratie véritable.


Agnès Le Guernic, Paris, 15 juin 2017

 

 

* Agnès Le Guernic : Etats du moi, transactions et communication. Savoir enfin que dire après avoir dit bonjour. Dunod