Je vous propose dans ce cas de recadrer les situations dans un sens positif, de les regarder autrement en vous efforçant d’en voir les bons côtés.

Le terme de “cadrage” fait référence à la photographie. On sélectionne avec l’objectif la partie que l’on veut fixer. Le cadrage varie selon l’intention du photographe : le choix d’inclure dans le cadre un élément contrastant avec le reste, par exemple la présence d’une case en bois au toit rapiécé de tôles dans un magnifique paysage tropical, va changer la signification de la photographie. Il signale les conditions de pauvreté des habitants dans un pays qui est présenté comme un paradis.

Re-cadrer, c’est modifier le cadre en englobant des éléments nouveaux qui changent la signification de la situation. Les pessimistes trouveront des éléments négatifs, les optimistes, en verront les bons aspects inattendus. L’exemple le plus simple est celui de la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Quand le contenu de la bouteille est attractif, l’optimiste dit qu’elle est à moitié pleine et le pessimiste à moitié vide. Mais c’est la même bouteille. La différence est dans le regard et l’intention.

Le regard du sage :

La période où nous vivons se prête particulièrement aux recadrages. Ayant presque tous vécu jusqu’ici dans l’illusion d’une croissance économique toujours plus grande, nous commençons à en voir les limites. Ce sont celles de notre planète. Certains évoquent la nécessité d’inverser le processus, parlant de « décroissance ». Or l’idée de « diminuer » les possibilités offertes est perçue comme négative. Pour recadrer cette notion, nous pouvons comme les chinois du livre des changements* recadrer l’idée de “diminution” de la manière suivante : C’est « une perte qui permet un rééquilibrage » ou « un processus de concentration qui entraîne une augmentation de la qualité ». Réduire notre consommation en faisant des choix et cesser de vouloir toujours plus peut se faire en augmentant la qualité de notre vie. Cela suppose d’introduire d’autres éléments non prévus au départ comme le bien-être physique ainsi que la satisfaction morale que donnent le sentiment de solidarité et une plus grande convivialité.
La sagesse opère souvent par recadrages. Ainsi le sage épicurien (il s’agit ici du poète latin Lucrèce**) regarde-t-il, du haut de sa colline où il a fait retraite, les hommes qui s’agitent sur une mer démontée, symbole des tourments de la passion et du pouvoir. Il vit son dénuement matériel comme une liberté et un accomplissement. Je ne vais pas, rassurez-vous, vous proposer de suivre cette philosophie. Je cherche seulement à montrer l’intérêt de recadrer les situations.

Peut-on apprendre à recadrer ?

Toute personne en difficulté dans ses relations peut chercher comment recadrer une situation afin de l’aborder avec plus d’efficacité.
Je propose, par exemple, aux personnes qui se plaignent d’un collègue difficile à vivre, de se dire que c’est quelqu’un qui a beaucoup à leur apprendre. Elles pourront découvrir, en l’observant, comment on se comporte quand on est vraiment odieux. Ne pas oublier de noter discrètement après coup sur un petit carnet les formules assassines, les dévalorisations brutales, les jugements péremptoires. L’observation crée une distance. Cette distance est très utile. Ce recueil de « perles assassines » constituera une bonne armure pour celui qui a la peau trop tendre. L’observateur a aussi des chances de découvrir que ce personnage odieux ne l’est pas tout le temps. Son appréciation se fera plus nuancée.
De manière plus prosaïque, une enseignante de maternelle, en difficulté particulière avec des élèves de sa classe, après analyse de  la situation, avait pris conscience que sa capacité à tenir un cadre était faible et avait accepté l’idée que ces élèves allaient lui donner l’occasion de renforcer et d'exercer cette capacité. Grâce à cette idée que cette classe allait beaucoup lui apprendre sur les enfants, sa relation à eux et sur la manière d’enseigner, elle a retrouvé de l’énergie et abandonné son défaitisme antérieur.

Comment s’exercer au recadrage ?

Je vous invite ici à vous exercer à recadrer les menus tracas de la vie quotidienne. Faites une liste des tuiles ou désagréments de ces derniers mois qui vous ont mis en rage ou en détresse et cherchez pour chaque élément un avantage inattendu.

Commençons :
Hier, j’ai cassé le talon des chaussures que j’adore
La nounou qui garde mes enfants n’est pas venue travailler
Le lave vaisselle est tombé en panne
Je me suis disputée avec ma mère
Mon amie Nicole m’a fait remarquer que j’avais grossi
J’ai oublié le rendez-vous chez le kiné
J’ai appris que mon chef avait une promotion et qu’il partait. Or j’aimais travailler avec lui
Mon fils a eu un très mauvais bulletin
En voulant m’aider à déplacer un meuble, mon compagnon s’est foulé la cheville et j’ai du le conduire à l’hôpital. J’étais en colère contre lui et contre moi.

Je trouve en vrac des aspects avantageux des situations évoquées :

C’est l’occasion de choisir des chaussures plus confortables ou d’acheter celles que j’ai remarquées dans tel magasin
La nounou est trop souvent en retard. L’occasion est bonne pour la remplacer ou pour lui demander de partir si elle ne peut m’assurer de sa ponctualité
Le lave vaisselle était trop petit (ou trop grand, ou trop vieux)
Ma mère adore se disputer et je lui ai permis de se distraire
Mon amie Nicole m’a obligée à regarder quelque chose que je n’avais pas envie de voir. Ne pas oublier de la remercier.
Si j’oublie le kiné, c’est que je n’en ai pas forcément besoin. Si je me remettais à la gymnastique chez moi le matin ?
Je vais pouvoir enfin dire à mon chef tout le bien que je pense de lui.
C’est le bon moment pour faire le point avec mon fils sur son travail scolaire,
Son intention était bonne. Cela aurait pu m’arriver aussi à moi. Je chercherai désormais d’autres solutions pour déplacer des meubles importants.

Je suis sûre que vous pouvez trouver mieux ! Exercez sans vergogne votre créativité !

Paris, 9 décembre 2009.

* Le YI JING, Ed Albin Michel
** Lucrèce : De natura rerum, Ed Les Belles Lettres