La mémoire est un phénomène complexe.

Sigmund Freud dans sa « Communication Préliminaire » de 1893 constatait que « les hystériques souffrent de réminiscences » et, établissait une corrélation étiologique entre les mystérieux symptômes psychopathologiques et la notion révolutionnaire de souvenirs intensément chargés affectivement mais inaccessibles hors l’expérience de la cure bientôt dénommée psychanalyse.

On sait la fortune littéraire et cinématographique de ce motif initial du souvenir refoulé qui guida les premiers pas de l’investigation freudienne.

La psychanalyse entretient ainsi, dès ses origines, une relation étroite avec la question de la mémoire, en particulier avec le problème de la remémoration, et ces conditions concrètes. L’approche est notoirement différente de celle de la neuropsychologie puisqu’il ne saurait être ici question d’une fonction instrumentale puisque précisément la conscience n’a aucun accès aux souvenirs qui la hantent. Souvenir qui ne ressortit même pas forcément à l’expérience personnelle du sujet comme dans le cas de cet enfant d’âge scolaire qui manifeste un curieux et itératif comportement symptomatique : il se fait dessus en classe et ne dit rien jusqu’à ce que ses camarades ou l’institutrice, incommodés par l’odeur ne finissent par en repérer la source et l’expédient en larmes à l’infirmerie. A peu près dans le même temps sa mère apprend par une visite des gendarmes à son domicile, dans le cadre d’une recherche dans l’intérêt des familles, que son compagnon, le père de l’enfant, a laissé dix ans auparavant dans son pays d’origine, une épouse et deux enfants : l’homme, peu bavard, n’a jamais rien dit sur ce passé. Lorsque, sur les conseils de son analyste, la mère finit par en parler à son fils, le symptôme encoprétique disparaît ; l’identification à la faute du père -« la merde » cachée - cède.

C’est là en effet ce que toute la progression de la psychanalyse illustre : loin de n’être qu’une banque de données au service de l’opérateur conscience, la mémoire est constituante pour le sujet. Elle agit bien avant qu’il ne puisse, éventuellement et toujours partiellement, se l’approprier, savoir de quelle histoire il résulte avec ses particularités spécifiques, ses handicaps, les traits personnels qui le définissent et ses dons propres. Et, ce sont les aléas de cette transcription - en référence cette fois au nouveau modèle auquel parvient Freud dès 1897- qui se traduisent entre autres dans les symptômes dont le sujet est affecté et qui peuvent concerner tout l’éventail du comportement et tous les appareils de l’organisme y compris les fonctions « instrumentales » décrites par la neuropsychologie et notamment la mémoire.

Ainsi les oublis font-ils partis du corpus clinique en quelque sorte initial de la psychanalyse, comme cet oubli de nom (SIGNORELLI), par lequel Freud fait l’ouverture de son recueil consacré à la « Psychopathologie de la vie quotidienne ».

Du point de vue de la psychologie et de la neuropsychologie, la mémoire est dépendante des autres fonctions cognitives de la vie affective et de la motivation du sujet. On en connaît de mieux en mieux les supports et les mécanismes cérébraux. Cette approche se trouve confortée par la clinique des dysfonctionnements de la mémoire.

La neuropsychologie décrit l’activité mnésique par un processus comportant d’une part une sélection, puis un codage des informations et un processus de stockage ; d’autre part une restitution d’informations au moyen d’indices.

Différents modèles ont été proposés pour en rendre compte.

Certains mettent en avant l’encodage de l’information lors de son traitement et de sa restitution. D’autres décrivent la mémoire comme un ensemble de systèmes sur le modèle d’un ordinateur avec :

  • Une mémoire à court terme, ou « mémoire de travail » dans le modèle de BADDELEY le plus répandu, comportant un processus volontaire et un processus automatique.
  • Une mémoire à long terme nécessitant un traitement de l’information pour y accéder.

D’autres, enfin, décrivent la trace mnésique comme une entité statique qui est distribuée dans le système nerveux considéré comme un réseau.

Dans cette optique neuropsychologique, sont décrits les troubles mnésiques suivants :

L’oubli pour lequel différents mécanismes sont invoqués (pour en rendre compte) :

  • Une diminution des capacités de traitement, comme dans la maladie d’Alzheimer
  • Le refoulement
  • L’inhibition lors des situations fortement émotionnelles
  • Un trouble de l’attention du fait d’une anxiété
  • Un ralentissement psychique (du fait d’une dépression)

À côté de l’oubli sont décrits deux autres troubles de la mémoire : le faux souvenir du fait d’une intrusion dans un apprentissage, d’une fabulation, d’une fausse reconnaissance (reconnaissance comme familière d’une personne inconnue) ou d’une paramnésie (sensation erronée d’avoir déjà vécu une situation), et l’amnésie de source (diverses).

Il y a des affections de survenue brutale et qui sont généralement spontanément réversibles à savoir les amnésies transitoires.

Il y a les affections considérées comme organiques :

  • L’ictus amnésique : le plus fréquent, dont l’éthiopathologie demeure inconnue. Il s’observe chez des sujets des deux sexes, en bonne santé, habituellement entre 50 et 70 ans.

Il est exceptionnel d’assister à un tel ictus, c’est l’entourage qui raconte une histoire toujours très évocatrice par son caractère stéréotypé : les questions portent sur des évènements récents, la même question est reposée plusieurs fois de suite, la désorientation temporelle est complète tandis que l’orientation dans l’espace peut persister. L’amnésie peut concerner des souvenirs plus anciens, le comportement du sujet reste globalement adapté. Le trouble disparaît généralement en une demi-heure à quelques heures. La mémoire redevient normale hormis une amnésie lacunaire de la période de l’ictus.

  • Certaines crises partielles d’épilepsie peuvent entrainer un épisode amnésique
  • La prise d’alcool et la prise de sédatifs tout particulièrement des benzodiazépines peuvent provoquer des troubles amnésiques : le sujet oublie quelques heures de sa vie.
  • Les amnésies post-traumatiques

Il y a les affections considérées comme d’ordre psychique :

Elles sont décrites en particulier dans les troubles dissociatifs.

Enfin, il peut aussi arriver que la fonction, en réalité intacte, soit inopérante du fait de l’inaptitude de l’opérateur, par exemple, dans les états de confusion mentale où la conscience obscurcie se trouve aussi désorientée dans l’espace que dans le temps et ne parvient pas à disposer adéquatement d’informations mnésiques en réalité disponibles puisqu’elles peuvent resurgir inopinément si le contexte immédiat les évoque en quelque sorte mécaniquement : la phénoménologie du réveil des comas l’illustre amplement.

 

Docteurs Paul BERCHERIE (Saint Maur des Fossés) et Georges MICO (Paris). Psychiatres et Psychanalystes.