Les conflits que nous n’arrivons pas à gérer et qui nous pèsent sont à l’origine d’une bonne partie de notre stress.

Voici quelques idées reçues sur les conflits :

- ils sont inévitables (c’est la compétition naturelle) ;
- c’est la faute de quelqu’un d’autre ;
- c’est dû à l’agressivité naturelle ;
- il faut crever l’abcès ;
- c’est dans la culture (ex en France culture de l’affrontement plutôt que du consensus).
- Il y a toujours un gagnant et un perdant !

Je pense plutôt que nous sommes co-responsables de nos conflits et que nous pouvons apprendre à en sortir.


Des conflits entre qui et qui ? :

L’école est une organisation où se rencontrent et se confrontent des personnes très différentes : des élèves, mineurs pour la plupart, et des adultes payés pour s’en occuper. Parmi les adultes, des personnels enseignants ou surveillants, des personnels d’encadrement et des personnels de service. Les relations à l’intérieur de chaque catégorie : entre les élèves, entre les personnels chargés de s’occuper d’eux, à l’intérieur de l’équipe de direction, peuvent être conflictuelles, mais il faut envisager aussi les relations entre les élèves et leurs enseignants, entre les élèves et les autres membres de l’équipe éducative chargés du bon fonctionnement de l’établissement, entre la direction et les autres personnels et entre les membres de l’équipe éducative et les parents d’élèves.

Voici deux types de conflits auxquels sont confrontés les gens d’école :

  • les conflits dus aux différences
  • les conflits liés aux relations de domination

Demandons-nous comment les analyser et les traiter

 

1) Les conflits dus aux différences dans la population scolaire et dans le personnel de l’éducation. Les différences y sont minimisées et méconnues.

Regardons la situation de l’école en France :

L’école est le seul lieu où se rencontrent toutes les couches de la population à un moment ou à un autre. Les variations tiennent à l’origine géographique des parents, à leur milieu social, leur statut, leur niveau d’insertion dans la vie sociale, mais aussi au milieu culturel du personnel.
Auparavant ce n’était le cas qu’à l’école primaire, mais, avec le prolongement de la scolarité obligatoire et la politique de scolarisation de masse (le baccalauréat pour un maximum d’élèves), le collège et le lycée sont devenus des lieux de rencontre et de confrontation de la variété des élèves.
Ne pas oublier non plus la variété des personnels (enseignants, cadres administratifs, employés d’entretien ou personnel municipal dans les écoles), même si elle est limitée en France pour les enseignants par l’obligation de la nationalité pour être fonctionnaire.

Différences entre les élèves et leurs conséquences :
Dans les écoles du 10ème arrondissement de Paris, plus de 20 nationalités représentées. Des enfants de journalistes, de dirigeants, mais aussi d’artisans et d’immigrés clandestins vivant dans des squatts et qui viennent du monde entier. Que dire des écoles de banlieue ?
Les cadres de référence sont différents, les héritages familiaux et culturels différents aussi et parfois incompatibles avec les évolutions de notre société. Ils forment autant de sujets brûlants  :

Comme exemple d’héritages culturels incompatibles, je citerai quelques cas extrêmes :

  • Polygamie
  • Excision
  • Usage de la force envers les enfants
  • Enfermement des femmes
  • Contrôle de la sexualité des filles allant jusqu’à l’assassinat
  • Mariages forcés
  • Rôles féminins et masculins figés
  • Valorisation du groupe et effacement de l’individu (culture du clan)

Les différences entre les personnels :

Ces différences se retrouvent dans le personnel, même si c’est de façon moindre car la France a toujours été un pays d’immigration et sa politique d’intégration lui a permis jusqu’ici d’absorber des populations diverses et d’en tirer parti et enrichissement.
S’ajoutent des différences de toujours entre catégories de personnels selon qu’ils ont un niveau de diplôme plus ou moins élevé. Or en France on a le culte du diplôme. La rémunération en dépend. Le temps de service aussi. On peut imaginer les sources de frustrations dues à ces différences.
Il reste que les membres des personnels de l’éducation partagent un minimum de valeurs communes. Elles tiennent aux particularités des relations avec les jeunes et au souci éducatif.

Quelles sont les conséquences sur le travail d’éducation au niveau de la personne et de la relation avec les autres ?

Ces différences, qui tiennent à des organisations sociales différentes, pèsent sur le travail d’éducation et en limitent l’action. Il est donc nécessaire de reconnaître ces différences et de les prendre en compte. Nous ne pouvons pas faire comme si l’élève arrivait en classe, vierge de toute influence familiale. Même chose pour le personnel.
Ces différences impliquent de la part des enseignants la connaissance de soi et un travail personnel d’acceptation des autres dans leurs différences auquel ils ne sont pas forcément prêts. Une formule circule à propos de l’enseignement : « Pour enseigner le latin à John, il faut connaître le latin ; mais il faut aussi connaître John ; et il faut peut-être aussi se connaître soi-même ! » Or en France, si les enseignants de latin connaissent le latin, ils ne connaissent qu’une ou deux sortes de John et ils ne sont pas invités à se connaître eux-mêmes.
De plus, la formation à la conduite des groupes et aux relations est le parent pauvre dans les IUFM et l’éducation nationale est une des rares organisations qui n’a toujours pas de véritable service des ressources humaines.

Quelles clés pour comprendre ces différences entre les populations  quand nous nous plaçons au niveau de la personne et des relations ?

Parmi les grilles de lecture que propose l’analyse transactionnelle, j’en ai choisi deux : notre héritage mental, modèle qui nous permet d’explorer notre système de valeurs et le cadre de référence.

Notre héritage mental nous vient de nos parents et des figures importantes de notre enfance. L’analyse de ce qu’ils nous ont transmis concerne autant

  • les opinions sur ce qui est bien ou mal, sur la vie, la réussite, le rôle de chacun sur terre, opinions verbalisées par les parents,
  • que les conduites de ceux-ci qui ont servi de modèle aux enfants (modèle suivi ou rejeté, mais modèle quand même)
  • et les sentiments manifestés par eux à propos de toutes sortes de sujets : réprobation silencieuse, dégoût, aversion, satisfaction, plaisir.

Les figures importantes de l’entourage ont aussi une part de l’influence de ces modèles parentaux. Les enseignants vont tenir une place, plus tardive et parfois essentielle.

Cet héritage fait partie intégrante de la personne sur la durée de sa vie. Mais il peut évoluer. Il contient des messages contradictoires, sources de conflits intrapsychiques. Certains éléments sont en opposition avec les modes de penser, d’agir et de sentir de l’entourage, ce qui est source de conflits de valeurs.
Ainsi la conception des rôles féminins et masculins dans une société patriarcale traditionnelle et fermée va heurter de front la réalité rencontrée dans une société ouverte qui a évolué sur ce point de manière importante depuis 50 ans. Tout ce que nous considérons comme des progrès considérables dans le développement de l’égalité entre garçons et filles, hommes et femmes, contredit les représentations qu’ont la plupart des familles de nos élèves. Certaines filles feront le choix de se saisir des possibilités d’autonomie offertes par la société française, d’autres non.

Une autre source de différence est le cadre de référence. Il influence nos perceptions du monde. Ce cadre de référence se compose des filtres que sont la langue, la formation de base et la formation spécialisée. Notre vécu d’enfant et les influences parentales jouent aussi leur rôle et provoquent chez nous des réflexes qui court-circuitent la réflexion personnelle. A l’école, on doit en principe apprendre à penser par soi-même, mais ce n’est pas toujours aisé. Notre héritage familial et notre cadre de référence nous influencent toujours.
Dans notre relation à l’autre, élève, parent d’élève ou collègue il est donc bon d’être conscient de ces différences et plutôt que de les minimiser, de chercher à les connaître. C’est une manière de reconnaître l’autre et de lui donner une place. C’est très important.

Au plan relationnel les conflits dus aux différences se traitent par la négociation et la recherche des parties communes avec parfois élaboration d’un projet commun.

Mieux se connaître peut être donc un beau projet dynamisant ! Regarder les différences comme une richesse est signe de la vitalité créative d’une société, signe d’ouverture et d’adaptabilité dont on voit l’exemple au Québec dans la politique d’accueil des francophones venus des Caraïbes : haïtiens et antillais.

 

2) Les conflits de pouvoir : Les personnels de l’éducation n’ont pas toujours les outils pour traiter des rapports de domination.

Les rapports de domination ne sont pas perçus comme tels. Il importe de les identifier, de les analyser et de les transformer dans une perspective éducatrice d’égalité et de responsabilité.

Regardons le rapport de l’école à l’usage de la contrainte en France :  
L’école a toujours été perçue comme un sanctuaire où les enfants étudiaient à l’abri du monde extérieur. Apprendre exige un climat de sécurité.
A l’intérieur, l’institution exerce une certaine violence : les parents sont contraints par la loi de scolariser leurs enfants et ceux-ci doivent être présents durant le temps de la scolarité obligatoire, qu’ils le veuillent ou non.

  • (je pense aux poèmes de mon enfance où les petits paysans regrettaient de « passer de longs hivers dans des salles bien closes à regarder la neige à travers les carreaux , éternuant dans des recueils petits et gros et soupirant après les oiseaux et les roses ! »…).
  • je pense aussi à la prière du petit enfant noir de Guy Tirolien** (Seigneur, je ne veux plus aller à leur école, faites je vous en supplie que je n’y aille plus !)
  • Je pense aux élèves absents dans les lycées ou qui sont exclus et recasés ici ou là.

Il y a un consensus entre les citoyens qui justifie l’exercice de cette violence sur l’enfant au nom de son avenir et de l’intérêt de la société.
Mais, avec le passage à la scolarisation de masse dans le second degré, les échecs de l’école à former tout le monde ont commencé à peser (15% des élèves sortent de l’enseignement secondaire sans diplôme). Pour réussir cette massification, il aurait fallu changer certaines pratiques.

Pourquoi ces échecs? L’explication est au niveau sociétal
En France, on a des pratiques sélectives (écrémage des élèves) ; on abuse du jugement critique ; on valorise les diplômes et les études longues. La formation des enseignants insiste sur le niveau de formation disciplinaire, omet la psychologie y compris la formation à la conduite des groupes. On peut donc comprendre la difficulté de beaucoup d’enseignants à s’adapter aux populations défavorisées et à les soutenir dans leurs études.
Récemment l’enseignement spécialisé qui sait comment intervenir auprès des jeunes en difficulté a été balayé pour raisons d’économie de postes.
Je vois une source de stress importante dans ces difficultés des enseignants, mal préparés à un métier devenu très différent selon les endroits, souvent en échec et mal reconnus par leur hiérarchie même quand ils réussissent.
Par ailleurs, la violence de la société entre trop souvent à l’école et les personnels ont de la difficulté à y faire face. Les passages à l’acte deviennent plus fréquents. Ces dernières années, l’utilisation des téléphones portables et de l’internet pour la diffusion de scènes prises à l’insu des personnes ont aussi contribué à créer un climat de violence dans l’école sous une forme inédite et stressante : brutalités filmées, mises en danger de sa vie (jeu du foulard etc. ).
Des films comme « Entre les murs » et « La journée de la jupe » en donne une idée réaliste. Ce n’est le cas que de 20% de l’enseignement en France, mais ces 20% sont là !
Partout la violence verbale est importante, même si elle n’est pas perçue par les élèves comme une violence.
La force caractérise certains rapports sociaux, mais elle est impuissante quand il s’agit d’instruire. On ne peut pas forcer quelqu’un à apprendre. La pédagogie et la psychologie en revanche permettent de susciter à nouveau la motivation à apprendre chez ceux qui l’ont perdue.

Quelles clés pour comprendre les rapports de domination  en se plaçant au niveau de la personne et des relations ?
Sur ce sujet, voici comment l’analyse transactionnelle nous aide à réfléchir :  
Les rapports de force physiques ou psychologiques peuvent prendre des formes brutales et grossières ou plus subtiles. Claude Steiner***, un analyste transactionnel américain, détaille ce qu’il appelle les jeux de pouvoir dans la société patriarcale. Ce sont des manières d’entrer en relation qui ont certaines caractéristiques. Voici la classification des jeux de pouvoir :

 

classification des jeux de pouvoir

 

Remarques à propos de ce schéma :
Ceux qui adoptent des comportements de pouvoir physiques grossiers sont les délinquants. En revanche, les jeux de pouvoir subtils et psychologiques sont nombreux et tolérés. La société française a beaucoup changé depuis 50 ans. Ce changement a porté sur la place des plus faibles : statut des femmes mariées, lois sur la famille, droits des enfants, des handicapés. Nous tendons vers une plus grande égalité entre les hommes et les femmes ce qui passe par l’éducation et une plus grande liberté des moeurs.
Certaines formes de violence sont interdites aux éducateurs : on ne lève pas la main sur un élève, même s’il nous menace. Mieux on ne cherche pas à l’humilier (jeu de pouvoir subtil). Ces interdictions sont à peu près intégrées.

Les jeux de pouvoir peuvent être actifs ou passifs : les jeux de pouvoir passifs des élèves répondent aux jeux de pouvoir actifs des adultes qui s’occupent d’eux. J’indique dans mon livre « Sortir des conflits » quelles stratégies mettre en place pour sortir des jeux de pouvoir.

Au niveau personnel, comment éviter les passages à l’acte et donner du sens à notre travail? Comment se donner les moyens d’être heureux dans son métier ?

Passer de la relation de domination à la relation contractuelle :

- Refuser que la menace se substitue à la discussion,
- donner le sens de ce qu’on fait et le situer dans le projet éducatif,
- faire participer les élèves à l’organisation de la vie du groupe chaque fois que c’est possible de manière contractuelle,
- poser des règles, en donner le sens et les faire respecter,
- travailler en équipe et se soutenir au sein de l’équipe éducative,
- travailler avec sa hiérarchie,
- introduire dans la formation des enseignements un peu plus de connaissances psychologiques et de gestion des groupes,
- parler de notre système de valeurs,
- échanger entre nous sur nos pratiques, comme on le fait dans les groupes d’analyses de pratiques conduits par des analystes transactionnels.

De toute façon, nous devons affronter les effets de la mobilité mondiale des populations. Désormais il nous faut trouver un socle commun de manières de vivre ensemble tout en respectant une certaine diversité. Les migrations sont mondiales. Les gens n’acceptent plus de vivre dans un pays pauvre et mal dirigé. Ils prennent le droit d’émigrer. Tous les voeux pieux n’y changeront rien !

NOTRE BUT : prendre de la distance par rapport aux situations conflictuelles
Sortir des réactions stéréotypées
Exercer notre réflexion afin de mieux assurer notre tâche.

 

Agnès Le Guernic,
Paris, février 2010

 

* Agnès Le Guernic : Sortir des conflits, méthode et outils avec l’analyse transactionnelle, InterEditions 2009
** Guy Tirolien : Balles d’or, Poèmes, Présence africaine.
*** Claude Steiner : L’autre face du pouvoir, éditions Desclée de Brouwer.