Chacun d’entre nous a fait, étant enfant, l’expérience de la position basse dans la relation : nous dépendions alors de nos parents et des adultes de notre entourage ; nous avions peu souvent la possibilité d’exiger des autres qu’ils s’inclinent devant nos désirs ou nos volontés. Pour obtenir ce que nous voulions, nous avons élaboré quelques stratégies plus ou moins efficaces que l’on nomme en Analyse Transactionnelle « comportements de passivité », « jeux psychologiques ou jeux de pouvoir »*, mais cela n’allait pas très loin. Le souvenir de cette époque peut être fort désagréable pour certains d’entre nous. Quand, dans la vie d’adulte, nous disons : « Ils nous prennent pour des enfants ! » ou « « C’est comme si j’étais redevenu un gosse ! », nous témoignons de ce que la position basse nous a laissé un mauvais souvenir, celui de la dépendance.

Pourtant à cette même période, il nous a été possible de prendre une position dominante par rapport à certains camarades enfants ou adolescents de notre âge. Les leaders des cours de récréation ou de la rue peuvent être les plus costauds, les plus malins, les plus intelligents, les plus à la mode. Même dans nos sociétés, ce sont plus souvent des garçons que des filles. Les critères varient selon les groupes.

Nous avons pu aussi nous tenir à une position égale avec les autres, garçons ou filles. Chacun a des atouts, dans ces lieux d’apprentissage de la vie, pour adapter sa position aux situations et pour expérimenter des relations différentes : égalité entre amis, supériorité comme capitaine d’équipe ou chef de bande, choix de se montrer le moins possible et de ne pas se faire remarquer qui implique la position basse par rapport aux autres. Mais le choix reste possible. Il se traduit par des comportements et par une façon de communiquer.

Lors du passage à la vie d’adulte, les choix professionnels et familiaux nous placent dans des rôles : rôles de parents, de conjoints, de chefs ou de subordonnés. Les relations répondent alors à des attentes sociales. Mais à l’intérieur de ces rôles, nous gardons des choix en fonction de nos compétences relationnelles. Les codes de la politesse proposent des manières de transformer les ordres de la position haute (Fais ça !) en demandes depuis une position basse (Voudrais-tu m’aider ? Veux-tu bien m’aider ?) ou propositions de coopération de la position égale (Es-tu d’accord pour m’aider à... ?).

Certains métiers exigent des compétences en communication qui consistent souvent à adapter son attitude et son langage à la situation par rapport au client : dans les services, la position basse est de rigueur du point de vue de la communication, mais elle n’implique pas la servilité. Ceux qui le croient se trompent : c’est l’expertise qui compte. Or l’expert est en position haute par rapport au client. Le professionnel doit maîtriser les deux aspects de la relation : il se sait plus informé et compétent et se met à disposition.

Les enseignants sont en position haute professionnellement de par leurs connaissances et leur responsabilité de mettre en place le cadre de la transmission des connaissances. Mais ils doivent s’adapter à leur public, ce qui demande de se mettre parfois en position basse pour apprendre des élèves comment répondre à leurs besoins, au lieu de décider à leur place et d’échouer dans cette partie de leur travail. Dans leur tâche d’entrainer les élèves à réfléchir par eux-mêmes, ils doivent se mettre en position égale du point de vue de la communication : « Quels sont vos arguments ? Comment voyez-vous le problème ? Que pensez-vous de cette proposition ? », autant de questions où l’on se garde d’influencer l’autre.
Il ne suffit pas de connaître sa discipline, mais il faut connaître son public et aussi se connaître soi-même pour enseigner. Or la formation à la relation manque cruellement dans la formation des enseignants. Ceux qui l’ont acquise l’ont fait en dehors des circuits officiels et à titre personnel.

Même les médecins qui sont en position haute par rapport à leurs patients découvrent qu’il ne suffit pas de leur prescrire des traitements, mais qu’il faut expliquer, de manière à être compris, parfois même négocier avec les patients.

Les parents dont les enfants sont pourtant encore étroitement dépendants doivent eux aussi apprendre la souplesse dans la relation : tantôt affirmer les règles et les faire appliquer ; sur certains points négocier entre personnes de bon sens et toujours donner le sens de ses décisions.

Je pense donc qu’on peut choisir sa position dans la relation.
Je dirai même plus : dans notre monde démocratique et complexe, chacun doit apprendre à évoluer dans les différentes positions.


Paris le 10 juin 2010

 


* Agnès Le Guernic : Sortir des conflits, chapitre 3, p. 63 et suivantes, InterEditions 2009