Nous allons voir deux types de pathologies cardiaques graves qui peuvent être causées par des infections dentaires ou parodontales non soignées:
1°) les endocardites
2°) les accidents ischémiques artériels.
• Les endocardites
On sait de longue date que certaines infections dentaires ou parodontales chroniques, libèrent, soit spontanément, soit sous l’effet de traitements manuels par votre chirurgien-dentiste, des bactéries dans le sang, qui peuvent venir se fixer puis coloniser:
- Une valve cardiaque pathologique, congénitale ou le plus souvent acquise, généralement mitrale ou aortique, ayant ou non fait l’objet d’un traitement chirurgical, le risque étant particulièrement élevé si un remplacement valvulaire a été effectué, par prothèse mécanique ou tissulaire.
- Une cardiopathie congénitale, comme une communication entre les 2 ventricules,
- Mais parfois aussi un cœur normal.
- Enfin, la paroi des artères (notamment coronaires, carotidiennes); cf §n°2.
Dans les deux premiers cas, il existe au préalable un souffle à l’auscultation du cœur, que l’on appelle organique, mais il faut savoir qu’un souffle peut être également entendu sur un cœur normal; on parle alors de souffle fonctionnel, et il n’a aucune conséquence.
Cette greffe bactérienne sur la couche la plus interne du cœur, directement au contact du sang, l’endocarde, s’appelle endocardite infectieuse (EI).
- Son incidence semble stable au cours des dernières décennies, environ 1500 cas par an en France.
- Le streptocoque est la bactérie le plus souvent responsable, quoiqu’ on assiste à l’émergence d’autres types de bactéries.
- C’est une maladie grave de par ses complications potentielles, le foyer cardiaque infecté pouvant à son tour libérer des végétations infectées dans tout l’organisme, mais aussi en raison du caractère destructeur des germes , qui peut compromettre le fonctionnement de la valve, entraînant une insuffisance cardiaque et nécessiter dans 50% des cas une intervention chirurgicale à haut risque . Elle réclame toujours un traitement antibiotique lourd, débuté par voie intra-veineuse, et prolongé (40 jours).
Malgré ces traitements, la mortalité de l’EI reste élevée (15 à 25%)..
• Le meilleur traitement est donc PREVENTIF :
Tout souffle cardiaque dépisté doit faire l’objet d’une consultation cardiologique, qu’il existe ou non des symptômes (essoufflement, douleur thoracique, palpitations, malaises), afin de déterminer s’il est organique ou fonctionnel; le diagnostic, souvent évoqué dès l’auscultation, sera, en cas de doute, confirmé par une échographie cardiaque , précédée d’ un électrocardiogramme. S’il s’agit d’un souffle organique, le cardiologue doit éduquer son patient, en lui expliquant qu’il est porteur d’une anomalie cardiaque susceptible de s’infecter et que par conséquent:
- Il doit faire attention à tout signe infectieux patent: cutané, génito-urinaire, respiratoire, dentaire, et en informer son médecin généraliste, surtout en cas de FIEVRE, a fortiori dans les 3 mois qui suivent un geste bucco-dentaire à risque(ou une autre intervention chirurgicale); dans le cas d’une endocardite, un traitement antibiotique administré avant la recherche de germes dans le sang (hémoculture) peut rendre le diagnostic difficile et retarder la mise en route d’un traitement efficace.
- Il doit prévenir son dentiste ou son anesthésiste avant de subir un acte chirurgical quelconque,
- Il doit se soumettre à une visite annuelle, ou mieux semestrielle chez son dentiste.
Avant la réalisation d’un acte bucco-dentaire, cardiologue et dentiste doivent se mettre en contact pour décider s’il est nécessaire ou non de prescrire un traitement antibiotique préventif; si oui, ce traitement sera pris une heure avant les soins dentaires.
Cependant, il faut noter qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune preuve scientifique:
1°) de l’efficacité ou l’inefficacité d’un traitement antibiotique préventif avant une intervention bucco-dentaire.
2°) d’une réduction du nombre d’endocardites en cas de large utilisation d’un traitement antibiotique préventif, et que la sensibilité des bactéries responsables aux antibiotiques diminue de façon préoccupante…
• EN PRATIQUE :
Afin de mieux cerner les indications du traitement antibiotique préventif de l’EI , le dernier consensus de la Société de pathologie française de langue française a émis les recommandations suivantes (1):
1°) Evaluer le niveau de risque cardiologique en 3 groupes:
A) Le groupe A, à haut risque d’endocardite, regroupe les patients:
- Opérés d’une remplacement valvulaire et porteur d’une valve mécanique ou tissulaire (bioprothèse)
- Ayant un antécédent d’endocardite
- Porteurs d’une cardiopathie congénitale cyanogène (« maladie bleue ») non opérée, ou après certaines réparations chirurgicales.
B) Le groupe B, à risque moins élevé, comporte:
- Les insuffisances aortiques et mitrales
- Le rétrécissement aortique, la bicuspidie aortique
- Certains prolapsus de la valve mitrale
- Les cardiopathies congénitales non cyanogènes, en dehors de la communication inter-auriculaire
- Les cardiomyopathies obstructives.
C) Les autres cardiopathies, notamment les porteurs de pace-maker, ne comportent pas de risque majoré d’EI par rapport à la population générale.
2°) évaluer le niveau de risque du geste bucco-dentaire:
En effet, ce geste peut-être:
- contre-indiqué pour les groupes A et B
- à risque, et dans ce cas on recommande un traitement antibiotique préventif préalable pour les patients du groupe A, alors qu’il est devenu optionnel pour les patients du B.
-geste non invasif (sans saignement important), pour lequel aucun traitement antibiotique n’est recommandé.
La décision d’administrer ou non un antibiotique avant un geste à risque pour les patients du groupe B sera prise avec le chirurgien-dentiste, et dépend:
- De l’âge (supérieur à 65 ans), de pathologies associées, d’un diabète éventuel, ou de défenses immunitaires diminuées
- De la nature du geste(durée, importance du saignement prévu…)
- Ainsi qu’en fonction des souhaits du patient après information.
Cela dit, un patient du groupe B jusque là habitué à prendre son traitement antibiotique avant chaque soin dentaire pourra accepter difficilement de se plier aux nouvelles recommandations!
Pour clore ce chapitre, soulignons:
- L ’importance des mesures d’hygiène bucco-dentaire, avec brossage des dents après chaque repas, pendant 3 minutes, nettoyage des espaces inter-dentaires , visite annuelle systématique chez votre dentiste, semestrielle en cas de cardiopathie à risque, traitement antibiotique des foyers infectieux .
- Utilisation d’un bain de bouche à base de chlorexidine pendant 30’’ avant le geste dentaire.
3°) les accidents ischémiques artériels (2)
c’est-à-dire par obstruction artérielle athéroscléreuse dans les territoires myocardiques (infarctus), cérébraux (hémiplégie ou autres déficits ), ou au niveau des artères des membres inférieurs (artérite).
Cette complication est de connaissance plus récente.
Plusieurs études cliniques ont démontré:
- Que les patients victimes d’infarctus du myocarde avaient significativement plus de caries, infections dentaires ou parodontales (3,4) que les patients qui n’avaient pas d’infarctus;
- Que les patients atteints d’accident vasculaire cérébral (AVC) présentent un débit salivaire très diminué, un nombre de poches gingivales(réservoirs de bactéries) significativement augmenté; l’absence de détartrage depuis un an quadruplait le risque d’AVC (5).
- Que la parodontite multiplie le risque de maladie vasculaire périphérique (artérite), quel que soit le territoire artériel, par 2,6 (6).
Il a été prouvé que les bactéries libérées à partir des foyers infectieux bucco-dentaires , de par leur fixation sur la paroi des artères de l’organisme, et que les molécules impliquées dans l’inflammation chronique(protéine C réactive) favorisent, en déstabilisant la plaque d’athérome, la survenue des complications de l’athérosclérose, la plus grave étant l’obstruction totale de l’artère.
L’infection bucco-dentaire pourrait donc venir aggraver le risque cardio-vasculaire causé par les facteurs majeurs bien connus que sont le tabac, l’hypertension artérielle, le diabète et l’hypercholestérolémie.
Conclusion :
Le dépistage des infections dentaires et parodontales dépasse le problème de l’hygiène bucco-dentaire: c’est un véritable problème de santé publique auquel doivent être sensibilisés non seulement le corps médical , mais aussi le public; des campagnes d’information à grande échelle associant chirurgiens dentistes et cardiologues peuvent être une des solutions, permettant à l‘avenir, pour un coût modique pour la collectivité, d’abaisser de façon significative la morbi-mortalité cardio-vasculaire.
Bibliographie :
1: Prophylaxie de l’Endocardite infectieuse, sous l’égide de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) Arch Mal Cœur 2004 97 n°6 655-664.
2:Micheau C:Physiopathologie des maladies parodontales: relations avec les maladies systémiques (diplôme universitaire approfondi de Parodontie et d’Implantologie, Paris, université Paris 7, 19 avril 2000).
2:Mattila K.J. et coll. :Association between dental health and acute myocardial infection.
Br Med J 1989;298:779-782.
3: Arbes S. J. et coll:association between extent of periodontal attachment and self reported history of heart attack.
4:Loesche W.J. et coll: the relationship between dental disease and cerebro-vascular accident in elderly US veterans. Ann Periodontol 1998;3(1):162-171.
5: Mendez M.V. et coll.: An association between periodontal disease and peripheral vascular disease. Ann J Surg 1998;176:153-157.