Le corps, la corporéité et la sexualité de l’adolescent comme de l’adulte sont toujours des réalités charnières où le psychisme est toujours présent. Mais nous allons là nous engager davantage dans les diverses dimensions psychiques où nous allons continuer à retrouver le sens de la vie. Nous allons rencontrer les bases fondamentales du fonctionnement psychique et des perturbations psychologiques sous-jacentes aux addictions et autres troubles des conduites des jeunes.
     Nous pouvons souligner les grandes dynamiques de l’adolescent et les découvertes qu’il réalise dans cette phase essentielle. Mais il y a une réalité fondamentale qu’il nous faut tout de suite situer, car elle est fondamentale dans toutes les dimensions que nous aborderons.

 

• LE NARCISSISME

     Le narcissisme, c’est la complaisance du Moi en lui- même, s’éprouvant lui-même, se suffisant à lui-même. C’est un moment nécessaire de l’évolution de l’adolescent, nous le savon, qui est à la fois intense et vulnérable, vivant et fragile. Car nous allons retrouver beaucoup de blessures narcissiques dans toutes les conduites d’addiction.
     L’adolescent est devenu conscient d’exister : «  je suis moi » n’a plus la signification qu’elle avait à 3 ans. «  C’est un délicieux sentiment d’exister et d’une satisfaction à s’éprouver soi-même comme existant » (R.MUCHIELLI). Mais il comporte aussi souvent l’efflorescence réactivée de la volonté de puissance. L’adolescent n’a plus besoin des autres et est à l’écoute de ce qui se passe en lui :
     - C’est un gonflement du Moi, qui se sent supérieur aux autres dans une exaltation de la confiance en soi, comme une sorte de mégalomanie
     - C’est la composition d’un masque d’impassibilité et d’impénétrabilité pour défendre une exquise intimité
     - C’est aussi, l’agitation intérieure qui peut suivre la rumination de la solitude affective et conduire à des phases plus ou moins prolongées de dépression (R.MUCHIELLI) Les adolescentes y sont très sujettes, dans le thème très fort d’incompréhension, avec le sentiment de frustration et d’incomplétude. « On dirait qu’elles aiment pleurer » dit H.DEUTCH
     - C’est aussi et enfin le sentiment de soi où il reste très fortement l’impression d’originalité unique, incommunicable.
     Le narcissisme désigne l’investissement de l’énergie psychique, ou libido, qu’a pour objet le Moi. C’est à dire, c’est d’abord tout ce qu’il y a de sexuel, physique ou psychique, dans le comportement individuel relatif au Moi.
     Nous l’avons retrouvé dans le champ du corps (image du corps et expérience du miroir) qui va s’exprimer par la contemplation de soi, l’amour de soi-même et de son corps, mais aussi de sa propre personne, avec bien entendu des perturbations possibles de l’expérience narcissique qui a en elle-même valeur structurante dans le développement de la personnalité, et à cette phase de l’adolescence.
     On va le retrouver dans le champ de la parole et de ses soubassements inconscients des attitudes et des actes. C’est un retournement de l’intérieur, et nous retrouvons alors les sentiments habituels d’amour de soi-même, d’amour-propre, amenant à l’estime de soi, thème très développé actuellement dans les publications, livres et dans les propositions d’aide psychologique.
     Nous allons aussi retrouver les troubles psychiques dans lesquels l’intérêt affectif à la propre personne du sujet est tel qu’il rend impossible l’élection amoureuse ( névroses narcissique selon FREUD)
     C’est ainsi que nous allons rencontrer chez beaucoup d’adolescents en difficulté et en addiction des blessures narcissiques douloureuses et profondes.
     - Angoisse d’abandon s’exprimant dans le mal-être en quête à la fois d’apaisement et de destruction
     - Agressivité d’intensité très variable, auto-agressivité plus ou moins contenue et toujours anxiogène
     - Manifestations de pulsions sexuelles difficilement contrôlables, nourries de fantasmes angoissants
     - Désir de rencontre de l’autre sexe différent, frénésie de recherche de l’autre sexe pour un apaisement toujours désiré, et peur de l’autre qui peut nourrir le vagabondage et l’addiction sexuelle
     - Deuil et renoncement à l’enfance dans des modalités calmes et protégées, ou au contraire intense accrochage à l’enfance et refus explosif de cette enfance
     Dans toutes ces situations, nous voyons souvent émerger les interrogations sur le sens de la vie 

     - A quoi puis-je servir dans la vie quand mon père a quitté notre domicile ? 
     - Est-ce que je suis libre, avec tout ce qui m’encombre l’esprit, sentiment d’infériorité, dévalorisation, sentiment d’être mal-aimé ?
     - Est-ce que tout ce que je vis est bien réel, ou n’est-ce pas moi qui le construit et le fabrique ?

     C’est là où nous allons facilement rejoindre les grandes dynamiques psychiques de l’adolescent.

 

• IL DÉCOUVRE SON ÊTRE PROFOND à travers la découverte du narcissisme

     Il vient d’en être question, mais il est important de situer là la fonction structurante du narcissisme. C’est en tant que conduite et tendance qui pousse le jeune, comme toute personne, à jouir de lui-même, de son corps et de ce qu’il est, dans des dimensions sensuelles et esthétiques. Il pousse l’individu à se contempler, et à se regarder dans les miroirs, à mettre du temps dans ses soins corporels et son habillage. Il contribue à tout mettre en œuvre pour garder l’estime de soi en tant qu’être humain – corps psychique et esprit – à travers et par son être corporel et ses apparences. C’est une conduite auto- érotique dans la mesure où elle entraîne une jouissance personnelle capable de déclencher le plaisir sexuel. Il se situe à la frontière de l’hétéro - homosexualité.
     Mais le narcissisme fait aussi partie de l’évolution psycho-sexuelle de l’individu. Il contribue a asseoir l’estime de soi, la vision positive de soi, donc à construire l’identité du sujet. Il est un élément positif de la personnalité contribuant au développement de l’énergie, à la capacité de mieux rencontrer les autres à travers la solidité de soi-même. L’amour de soi est indispensable à la force et à la structure de la personnalité ; pour orienter ses forces vers les autres, vers l’autre choisi plus tard dans la vie conjugale et les projets personnels de toute nature.
     Certes, le narcissisme peut persister de façon intense chez certaines personnalités plus enclines que d’autres à jouir de leur corps (coquetterie excessive, culte intense du développement corporel, soins du corps de plus en plus d’actualité chez l’homme et chez la femme….). Il peut aussi prendre un caractère pathologique si on lui subordonne toute sa vie.
     Mais il est capable de jouer un rôle important s’il est bien harmonisé avec les différentes composantes de la personnalité. Il peut aider à construire des projets et à développer la vie individuelle et spirituelle. Il faut aussi tenir compte de toutes les agressions dont il peut être l’objet et de tout ce que vivent les enfants et les jeunes du point de vue inconscient dans les nombreuses blessures affectives qui concernent précisément le narcissisme, et qui viennent souvent meurtrir, et en même temps, dégrader l’identité des personnalités concernées.

 

• IL DÉCOUVRE SON MOI

     Nous l’avons vu déjà à propos du corps et de la corporéité ; mais il va plus loin. Il prend conscience du monde extérieur, et il se distingue de l’entourage, soit brusquement (hasard, lecture, premier amour), soit progressivement, lorsque l’aide sa famille.
     Il se contemple dans la perplexité, la solitude, dans le désir de l’amour de l’autre, dans le désir de s’évader de son milieu qu’il adore et hait à la fois, dans le désir de se révolter contre la famille, l’école, la société, etc…

 

• IL DÉCOUVRE LE BESOIN PROFOND DE SORTIR DE LUI- MÊME

     C’est aussi la phase de la délivrance du Moi (grandes passions, amour aveugle, haine excessive). C’est l’exacerbation de l’amitié et de l’amour. Les amitiés sont sélectives et exclusives, sur un copain plus jeune pour s’affirmer nettement. C’est un accrochage très fort à un adulte (entraîneur, éducateur, ou professeur). La relation affective est ici sous-tendue par l’importance des pulsions sexuelles, de la vie génitale et sexuelle qui s’éveille. La sexualité est à double face, l’une d’ordre génital, l’autre d’ordre sentimental et affectif qu’il ne s’agit pas de dissocier dans l’éducation affective et sexuelle, qui d’ailleurs a dû commencer plus tôt à notre époque.
     La phase de l’émergence des tendances, ou des traits homosexuels se situe là aussi, mais il convient de la rattacher davantage à la problématique du narcissisme que nous avons abordé précédemment.

 

• IL DÉCOUVRE LA FORCE DE L’IMAGINATION

     L’imaginaire et l’imagination sont très intenses et très développés à cette phase de l’adolescence. Ils sont tous deux très liés au surgissement de la sexualité et de toutes ses expressions physiologiques et psychologiques. Ils sont associés aux manifestations de l’émotion et des variations de l’humeur (phase dite de déprime, de bourdon, de repliement, alternant avec des phases d’euphorie et de défonce, où l’adolescent tout puissant ressent dans sa force que tout est possible). L’émotion est une manière d’être en relation avec les événements vécus chez l’adolescent (échec, rejet, frustrations, etc…). Elle est aussi , et surtout, en relation avec des mouvements de la vie intérieure ( impression d’être rejeté par un copain, une copine, un groupe, ou rejet de l’amie du moment, aussi craint que fantasmé ;sentiment de son infériorité physique, ou de son infériorité relationnelle avec les autres). Il s’agit aussi de situer là l’idée de la mort traversant souvent l’esprit de l’adolescent. Cette problématique de la mort l’interroge sur le sens de la vie. Elle est à distinguer de tout ce qui est vécu de cette problématique de la mort dans les conduites à risque, où l’ambivalence est présente.
     De toute façon, chez l’adolescent, l’imaginaire fait qu’il vit dans l’absolu. Et le problème sera de ne pas confondre le réel et l’imaginaire, ce qui peut se réaliser chez l’adolescent. C’est dans ce sens que le pouvoir d’imaginer est à la fois un pouvoir trompeur et en même temps une manifestation de la liberté de conscience.
     Avec l’imagination, nous rejoignons le jeu fort important dans le développement de l’enfant et du jeune. L’imitation, la représentation de situations déjà vécues, rejoignent les activités de mime et les rêves multiples du jeune. C’est dans toutes les expressions de l’imaginaire, et le rêve en particulier, que nous allons retrouver les aspirations de l’adolescent, les expressions et les manifestations de la sexualité en effervescence, les désirs les plus forts, les craintes, les angoisses et les peurs bien entendu . Avec l’imagination nous comprenons mieux les émotions de l’adolescent, et aussi ses variations de l’humeur, ses réactions dites caractérielles d’opposition, de repli, d’agressivité etc… Nous comprenons mieux aussi les réalisations de ses conduites addictives ou à risque, dans la difficulté à bien distinguer les situations réelles et les aspirations imaginaires.

     Je voudrais aussi noter l’importance de l’éducation religieuse de l’imagination .Celle-ci, capable de reproduire les sensations les plus diverses, concentre la force de toute la personne physique, psychique et spirituelle. L’éducation religieuse de l’imagination passe par l’image que l’homme s’est constitué de son propre corps (importance du développement harmonieux du corps). L’image a une force qui permet de rejoindre la représentation intérieure de la vie spirituelle de chacun, d’où l’importance des rites, des représentations en image (icônes, tableaux, représentations de l’histoire de la religion). Toutes les expressions aident la rencontre du jeune avec de l’adulte avec Dieu fait homme. Il faut aussi bien entendu retenir le rôle de la parole, de la voix, de la lumière, du regard et de l’écoute dans l’éducation religieuse de l’imagination, comme dans celle de tout homme.

 

IL DÉCOUVRE LA CAPACITE RÉELLE DE FAIRE DES PROJETS

     C’est la capacité de lancer en avant et de diriger une idée, un souhait, un désir, pour essayer de le réaliser. Certes l’adolescent fait beaucoup de projets au milieu de ses rêveries. Mais il devient progressivement capable de se projeter dans l’avenir, de prendre les moyens pour réaliser ce qu’il imagine ou souhaite plus confusément, et faire correspondre l’image qu’il a de lui-même ( rôle du narcissisme là encore) et la réalité des possibilités. Ces projections concernent l’affectivité, la vie de groupe, les projets de formation etc… etc…. On constate actuellement que beaucoup d’adolescents ont des difficultés à vivre le temps et la continuité. Ils vivent dans l’immédiat, et toutes les technologies audiovisuelles favorisent cette tendance : ils ne sont pas motivés par leurs études, ils n’ont aucune idée de leur orientation future etc… Il y a beaucoup d’études sur la temporalité chez les jeunes en addiction et autres troubles. Le sens du temps se précise tout de même généralement à l’adolescence où nous rencontrons la confrontation avec les forces personnelles, mais aussi avec le sentiment d’insécurité, l’anxiété et surtout l’angoisse du présent et de l’avenir.
     Et c’est ici que les capacités de projet se confrontent au sens de la vie. Nous aborderons cette question à partir d’un éclairage spécifique particulier aux Sciences Humaines, nous faisant comprendre les profondeurs de l’être humain et ses dynamiques trouvant leur source dans l’inconscient (V.FRANKL)

 

• IL DÉCOUVRE LES GRANDES VALEURS HUMAINES

     Confiant en sa supériorité intellectuelle, l’adolescent classique s’affirme catégoriquement, vous le savez. Il est raisonneur. La soif de l’absolu le pousse à tout critiquer, à tout dénigrer. Il peut se réfugier dans un mysticisme passionné, dans les systèmes philosophiques en vogue (romantisme primaire et autres constructions, écologie d’obédience diverse). Mais il peut être aussi sensible aux sirènes des sectes et des mouvements marginaux. Il est capable de découvrir les valeurs esthétiques, morales et religieuses, car ses perceptions et ses raisonnements peuvent être très élaborés. Mais dans notre société chaotique, les nombreux troubles de la personnalité associés aux conduites addictives ou autres, peuvent amener à des interrogations sur le sens le sens de la vie dans la béance de leur angoisse et de leur dépression, dans la prise de conscience fragmentée de leurs aspirations morcelées et de leurs désirs inassouvis.

A suivre :
Les interrelations personnelles et environnementales