La pratique quotidienne en médecine du travail dans le champ de la psychodynamique du travail concerne avant tout l'investissement de l'homme dans son travail. Pour ce faire, un mode particulier d'écoute est privilégié. Cette écoute permet d'une part au médecin d'aider ses patients en difficulté et d'autre part de se constituer une opinion sur la situation avant toute action dans le champ collectif de l'en­treprise. Celle-ci sera différente hors situation de crise ma­nifeste et en période conflictuelle.

 

I. UNE PRATIQUE AU QUOTIDIEN  HORS SITUATION DE CRISE :

L'action au cabinet médical :

L'écoute permet au médecin, dans la diversité des consul­tations, d'apprécier la dynamique de l'épanouissement et du plaisir au travail. En période de forte tension, les agents s’adresseront spontanément à lui pour faire état de leur doute, voire de leur souffrance. Ils rapporteront souvent leur mal être à leur vie extra-professionnelle. Le rôle du médecin est d'entendre les problèmes de ses patients et d'aider ceux qui sont en difficulté. Lorsque l'origine de leurs difficultés est manifestement d'origine privée, il leur consacrera le temps nécessaire pur leur apporter aide et conseil, en leur permettant de puiser dans leurs ressources pour affronter la situation.

Lorsqu'elle est d'origine professionnelle, il lui sera indis­pensable d'en approfondir avec eux la genèse. Une écoute respectueuse et attentive leur facilite la réflexion et aide les agents à se resituer dans leur relation au travail. L'éthique du médecin lui dicte alors d'en informer les responsables, dans le respect du secret professionnel pour qu'ils agissent sur les dysfonctionnements.

Sortir du cabinet médical :

A partir de cette écoute le médecin va pouvoir se forger progressivement ses hypothèses. Elles demandent ensuite à être confrontées à celles des acteurs de l'entreprise. Cette dé­marche incite le médecin à sortir du cabinet médical. Il va devoir alors prendre en compte les représentations diffé­rentes sur le travail que chaque acteur ou groupe d'acteurs se forge en fonction des contraintes spécifiques à sa situa­tion professionnelle.

La constitution d'un espace de délibération interne :
La mise en perspective des points de vue et des représen­tations sur le travail ne se fait pas naturellement. Le méde­cin du travail peut être un des partenaires actifs dans cette démarche en initialisant un débat sur l'activité, dans ses liens avec la santé, au sein de problématiques souvent contradic­toires. Le recul réflexif et critique du médecin l'autorise à opérer un décentrage des points de vue et à sortir des dis­cours stéréotypés. En ce sens, il aide ses interlocuteurs en élargissant leur point de vue en leur permettant, s'il le faut, de chercher des pistes de travail originales. Les instances for­malisées, comme le C.H.S.C.T., lui donneront l’opportunité de mettre en perspective les rationalités humaines, tech­niques, sociales ou organisationnelles avec le travail.

Une pratique dans la dimension collective de l’entreprise :

L'action du médecin ne diffère pas de celle qu'il peut poursuivre en d'autres domaines. Sa finalité est toujours la promotion de la santé dans le milieu professionnel. Le mé­decin pourra, à partir de l'approche individuelle, s'ouvrir à la dimension collective en participant à des actions locales. Il pourra s'associer à des actions sur des thèmes très variés comme la sécurité, la qualité, l'analyse de l'activité ou tout autre projet sollicitant la mobilisation de l'homme au travail. En soulignant comment peuvent s'articuler les dimensions individuelles, collectives dans l'activité de travail, il sera un médiateur permettant la prise en compte de la rationalité hu­maine au sein d'autres logiques. La plus grande transparence des actions du médecin, dans le champ social, est souhai­table. La référence à l'éthique médicale est une nécessité constante.

 

II. UNE PRATIQUE EN SITUATION DE CRISE :

L’action se déroule ici dans un climat de démotivation et de souffrance dont l’intensité peut-être sévère. La mise en débat de l’activité de travail et ses relations avec la santé est rendue plus ardue.

Quand il y a crise, la convergence des plaintes isolées reflète la dimension collective d’un dysfonctionnement. A ce stade, le médecin agit seul. Il construit  ses hypothèses de façon interactive en les soumettant en permanence à la validation des agents.
Lorsque les liens hypothétiques entre paroles singulières sur la souffrance et contexte de travail lui sembleront suffisamment probants, il va informer les acteurs de l'établissement de l’existence d'une plainte portant non sur les individus isolément mais sur des personnes ayant une appartenance commune a un service ou une unité.

Il va tenter de convaincre ses interlocuteurs informelle­ment ou a l'occasion de ses interventions au C.H.S.C.T, de la dimension inhabituelle de cette plainte, qu'il relie, sous forme d'hypothèses, à un dysfonctionnement dans l'activité de travail. Lorsqu'il aura l'impression d'avoir fait le tour de toutes ses possibilités d’agir et de convaincre, il pourra ré­diger un compte rendu écrit de la situation formalisant ainsi sa prise de position. Son analyse sera soumise à la réflexion des C.H.S.C'T. pour ouvrir la discussion.
Ses interventions, même prudentes vont inévitablement provoquer des réactions car elles seront interprétées par chacun des partenaires à travers leurs propres prismes. Elles relèvent le plus souvent de logiques très dépendantes des rapports sociaux dans l'entreprise et des intérêts antagonistes qui peuvent coexister. Ses interlocuteurs pourront exprimer de manière soutenue, des avis divergents, voire mettre expressément en doute ses hypothèses ou ses compétences.
Tout l’art du médecin consistera à savoir évoluer entre ces différents écueils, sans devoir dénaturer ses propos. Il est extrêmement important  qu’il puisse alors confronter fréquemment son opinion à celle des confrères plus à distance de la situation, ou participer à un groupe d’analyse de pratiques.

 

III. INTERVENTION DU MEDECIN ET ESPACE DE LIBERATION INTERNE :

Les différentes interventions du médecin du travail pourront avoir plusieurs effets :
   -  Elles peuvent déboucher sur la restitution et la mise en débat par le médecin du travail de son enquête clinique de psychopathologie. Ces restitutions de pré- enquête nécessitent la constitution de groupes d’agents volontaires pour ouvrir un débat sur les questions d’organisation du travail qui posent problème. Ces pré- enquêtes cliniques de psychopathologie, peuvent-être restituées de façon ordinaire dans l’entreprise sans envisager nécessairement d’étude ultérieure plus élaborée. A partir de là, les acteurs de l’entreprise peuvent continuer la réflexion et la recherche de solutions adaptées à la situation ;
   -  Les interventions du médecin auront pu contribuer à ouvrir un espace de délibération interne ; La reprise du débat pourra permettre une amélioration de la situation par la recherche concertée de solutions, et contribuer à obtenir une diminution durable de la souffrance ressentie par les sujets ;
   -  Si le médecin n’est pas parvenu à ouvrir un espace de délibération interne sur l’engagement des femmes et des hommes dans leur travail, il n’en persévérera pas moins pour faire passer un message. Si les résistances sont trop fortes, il essaiera de prendre de la distance en s’investissant momentanément ailleurs, s’il le peut, se limitant aux pratiques classiques. Il restera toutefois vigilant pour saisir les opportunités qui permettraient de relancer le débat ;
   -  Un consensus aura pu également s’établir sur la nécessité  de recourir à des tiers externes pour entreprendre une analyse plus poussée des blocages générateurs de cette tension. Il faut alors que le médecin s’assure de ce que la finalité du projet retenu soit bien l’ouverture d’un espace de délibération sur l’activité, et non l’exploration des responsabilités individuelles de la dégradation de la situation ;
   -  Une analyse permettant de comprendre la situation sous l’angle de la psycho dynamique du travail peut également être souhaitée. L’objectif en sera alors de repérer ce qui, dans l’organisation du travail, est source  de contraintes, de défis, susceptibles de générer du plaisir ou de la souffrance.

 

IV. LE ROLE DU MEDECIN DU TRAVAIL APRES L’INTERVENTION SPECIALISEE

Lors de la restitution de l’enquête, il peut souligner les points de convergence ou de divergence avec ses propres observations.
Au niveau individuel, il pourra utiliser les résultats de l’enquête auprès de ses patients pour leur permettre  de s’exprimer sur leur vécu. Au niveau collectif, il pourra éventuellement accompagner les actions entreprises en  participant  à la poursuite des travaux initiés dans l’entreprise. Quelle que soit l’appréciation portée sur l’enquête, le médecin du travail ne peut que s’impliquer pour laisser largement ouvert l’espace public de discussion, garant de l’expression et de la réflexion sur la santé au travail.

 

V. CONCLUSION

Lorsqu’il reçoit au cabinet médical qu’il ne trouve pas d’issue en raison d’un blocage dans la situation de travail, il importe que le médecin puisse dépasser une attitude d’écoute compréhensive. En permettant l’ouverture d’un espace de libération, il met en œuvre une éthique de discussion et du témoignage. Même si les constatations peuvent déranger, elles permettent de rendre compte de la réalité des situations de travail et de faire émerger les conditions nécessaires à leur évolution.
L’approche par la psychodynamique des situations de travail permet de rendre manifeste une grande part des informations cliniques recueillies par le médecin du travail. Cette démarche justifie une inscription de l’approche santé travail dans le cadre de la Santé publique, et donne une visibilité sociale aux questions de santé au travail.