La chirurgie plastique est en voie de se transformer en véritable addiction. Nous assistons dernièrement à une fascination sans précédent du recours aux chirurgies plastiques comme moyen de répondre à des critères de beauté de plus en plus socialisés, de plus en plus étalés sur tous les murs environnants ou des chambres d’adolescents, et , par suite, de plus en plus normalisés.

Malgré l’existence de magnifiques mannequins qui défilent pour présenter des vêtements pour personnes « rondes », et toutes les nouvelles pratiques pour aider à augmenter son estime de soi, de nombreuses femmes et jeunes filles sont préoccupées par des sentiments négatifs concernant l’image de leur corps.

De plus, avec l'assaut de programmes de téléréalité documentant sur la chirurgie plastique, certaines personnes s’en remettent au scalpel pour atteindre leur apparence idéale. Relooking extrême (TEVA), Miss Swann (TF6) et le succès de la série Nip/Tuck (M6, Paris Première) illustrent cet engouement extraordinaire pour l'esthétisme du corps, voire sa totale transformation.

Que veut-on corriger au juste ?

La chirurgie plastique ou cosmétique n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Par exemple, des blessures au visage ou sur le corps peuvent causer une difformité, qui ne peut être corrigée que par l’emploi de la chirurgie plastique.

De même, la chirurgie cosmétique peut sauver une vie dans un cas d’extrême obésité. D’un autre côté, certaines personnes – surtout des femmes – sont trop obsédées par « être belles » ou « avoir un corps parfait ».

Parce que le « corps parfait » est inatteignable, ces personnes vont entreprendre des chirurgies esthétiques à répétition avec à chaque fois des espoirs de trouver LEUR satisfaction personnelle. Pour un spectateur lambda, ces personnes sont belles, mais, en dépit de cela, une vision irréaliste de leurs corps leur dit autre chose.

Malheureusement, deux tiers des patients en chirurgie plastique sont des patients répétitifs. Avoir la première opération de chirurgie plastique est la partie la plus difficile. Cependant, une fois cette « première fois » passée, c’est facile pour le patient de rechercher de nouvelles améliorations.

Parmi les opérations de chirurgies plastiques les plus courantes, on trouve des augmentations mammaires, des modifications du nez, des implants dans les joues, des liposuccions, et ainsi de suite.

À cette question, on peut répondre aussi que, si l'image corporelle est soumise au chirurgien pour corriger des «disgrâces», ces mêmes disgrâces s'inscrivent dans l'environnement social et produisent des effets pervers, comme en témoignent de plus en plus d'adeptes à travers le monde.

Au Venezuela, au Brésil, en Italie et en Argentine, par exemple, le recours aux chirurgies plastiques est socialement acceptable, voire désirable. Les coûts des chirurgies peuvent être remboursables par les services publics de santé quand on démontre que l'image de soi au plan psychologique peut nuire à l'équilibre psychique et fonctionnel des personnes en question. (Ce mécanisme est également possible en France, mais je ne suis pas là pour critiquer ou donner des conseils…)

Aux États-Unis, 1% des personnes vivent une détresse sévère en lien avec leur image de soi qui s'exprimerait plus durant l'adolescence et environ 50% des étudiants américains au collège sont préoccupés par au moins un aspect de leur apparence.

Dans la mesure où l'estime de soi est la pierre angulaire derrière la plupart des recours à la chirurgie plastique, ne devrait-on pas privilégier d'abord un tour chez le thérapeute dans le but d'aider la personne à trouver le courage d’améliorer ce qui peut être changé et aussi à accepter ce qui ne peut pas être changé ?

Jusqu’à un certain niveau, tout le monde est conscient de sa propre image et expérimente des insécurités. Mais certaines personnes souffrent de ce qu’on appelle une dysmorphophobie ou d’une dysmorphesthésie (en anglais body dysmorphic disorder).

Diagnostiquées par le DSM-IV (la bible psychiatrique) comme un « désordre corporel », ces conditions principalement sociales (mais pas uniquement) se retrouvent de plus en plus incluses dans le DSM-IV comme des déviances à médicaliser et où le manque ou la peur d'être se transforme en manque ou peur d'avoir.

Les personnes qui ont cette souffrance peuvent être extrêmement belles, mais elles « se voient » laides et croient que les autres aussi.

Elles assimilent le bonheur à la beauté. Ainsi, pour être heureuses, elles subissent des chirurgies esthétiques répétées. Malheureusement, les gens avec ce désordre mental ne sont jamais satisfaits de leur aspect.

A partir de ce moment là, les chirurgies esthétiques ne s’arrêtent plus.

La dépendance est une recherche hors de soi de ce qui manque à l'intérieur. C'est une manière de combler un vide ou de juguler une peur au moyen d'un produit ou d'une activité qui procure un apaisement et une réponse temporaires.

Quand la somme des défauts perçus dépasse la capacité d'adaptation de la personne, elle ouvre la porte aux conditions de la dépendance où elle cherche à « geler » ses souffrances par le biais des chirurgies, d’un produit ou d’une action (ou parfois d’une non-action, cf. outil de self-coaching sur la Dépendance à la souffrance).

La dépendance est mieux comprise quand nous tenons compte de la relation entre le contexte intérieur, c'est-à-dire comment la personne se sent entre ses motifs personnels et l'environnement social. Parmi les autres facteurs sociaux, mentionnons au moins trois repères :

1) L'exposition aux médias télévisés, émissions spéciales, porte-parole de Hollywood, « première dame » ou députées de certains pays, des milieux artistiques, de la mode;

2) L'immense et rapide progrès technologique des procédures médicales où le patient est sujet à moins d'anesthésie et où le rétablissement postopératoire est beaucoup plus rapide;

3) Une plus grande tolérance qui permet plus d'acceptation sociale. Des injections de Botox tous les six mois pour plus de huit millions d'Américains, des chirurgies pour les rides tous les trois ou six ans, des liposuccions tous les cinq ou 10 ans, deviennent de plus en plus monnaie courante pour certaines catégories sociales.

Si la tendance se maintient en France comme elle le fait aux USA, on peut sans doute s'attendre à une augmentation significative de cette dépendance. D'ailleurs, certains individus ayant développé cette dépendance ont avoué se prostituer, voler, jouer excessivement à des jeux d’argent, effectuer des emprunts bancaires irréalistes, etc.

Comprise comme une façon d'affirmer la beauté en termes de désirabilité dans le regard des hommes et du pouvoir, plusieurs femmes ont déjà subi entre 20 et 35 chirurgies et auraient des symptômes de sevrage similaires aux toxicomanes si elles n'ont pas au moins deux chirurgies par an.

Cette tendance plus au féminin s'accentue également auprès de populations masculines où plusieurs hommes n'hésitent pas à avoir de plus en plus de chirurgies.

De toute évidence, toutes les personnes qui ont plus d’une intervention en chirurgie plastique ne sont pas dépendantes. En grandissant, certaines personnes ont une saine aversion de certaines parties de leur corps. Peut-être ont-elles un nez vraiment disgracieux. Ces personnes résolvent leur problème en corrigeant la disgrâce dès qu’elles en ont les moyens. D’un autre côté, les personnes addict à la chirurgie plastique démontre une présence de problèmes psychologiques, cognitifs et/ou comportementaux.

Signes d’une addiction à la chirurgie plastique ou cosmétique

Les addictions à la chirurgie plastique sont généralement assez faciles à détecter. Évidemment, les patients qui ont déjà eu un grand nombre d’interventions (a fortiori celles qui ne se souviennent pas immédiatement de ce nombre), soit sur la même zone de leur corps, soit sur différentes zones, sont des addicts « typiques ».

Les drogués à la chirurgie plastique obsèdent communément sur des parties de corps spécifiques d'une célébrité admirée. Par exemple, un patient peut demander les lèvres d'Angelina Jolie, le derrière de Jennifer Lopez (implants fessiers), les pommettes de Naomi Campbell, etc.

Les drogués de chirurgie plastique considèrent ces célébrités comme « le résumé » de la beauté, et iront n'importe où pour atteindre leurs visions désirées. Pourtant, les dépendants à la chirurgie plastique échouent à se rendre compte que chaque personne a des caractéristiques uniques et essayer d'adapter notre look à celui de quelqu'un d'autre est une recette pour le désastre.

Les règles d’éthique et de déontologie

Est-ce que les chirurgiens plasticiens contribuent à l’addiction à la chirurgie plastique ? La réponse à cette question dépend dans une grande mesure de qui la pose.

De toute évidence, leur rôle premier des chirurgiens plasticiens est de pratiquer des interventions chirurgicales esthétiques, et non de fournir des conseils à des personnes qui souffrent d’un problème psychologique.

Ceci dit, et si un chirurgien détecte un pattern autodestructeur, et ne refuse pas d’intervenir pour le bien de la personne?

Plutôt que de soutenir les chirurgies esthétiques multiples, mon opinion est que le praticien devrait décliner et envoyer préalablement le patient à un psychiatre ou un psychologue ayant reçu des formations en addictologie et avec lequel il travaillera en alliance thérapeutique.

Conclusion

Médicaliser les corps et les comportements en contexte de chirurgie plastique pose la question de l'importance de la standardisation et de la normalisation des critères de beauté. Cette avenue de plus en plus privilégiée dans la gestion de ce malaise de l'image reflète aussi un malaise de civilisation qui bloque l'examen réel des conditions psychosociales derrière ces dépendances.

La dépendance à une image de soi et au «jeunisme» utilise le moyen de la chirurgie pour anesthésier ses émotions et sa faible estime de soi, d'une part, et répondre aux critères et normes sociales, d'autre part.

Que feront ces personnes quand elles deviendront plus âgées ? Continueront-elles dans cette dépendance jusqu'à la dernière année de leur vie?

Verrons-nous bientôt l’ouverture de groupes d'entraide anonymes avec 12 étapes à l’instar des alcooliques, des toxicomanes, des outremangeurs et des dépendants affectifs et sexuels ?

Personnellement, je n’en serais pas surpris.

D’ici là, prenez bien soin de vous & des autres.

 

Olivier Kramarz
Life Coach Addictologue