1) Le jeu pathologique
2) Les achats et les débits compulsifs
3) Le sport extrême ou intensif
4) Les troubles des comportements alimentaires (ou TCA)
5) La dépendance et la codépendance affective
6) La dépendance et la codépendance sexuelle
7) Le travail pathologique (ou workaholism)
8) La cyberdépendance
1) Le jeu pathologique
La place singulière du jeu, longtemps considéré comme sacrilège, puis légalisé, et aujourd’hui largement répandu, encouragé, dans tous les pays, en fait un champ particulièrement éclairant pour l’ensemble des nouvelles addictions.
Il existe des arguments très forts en faveur de l’inclusion du jeu pathologique dans cette notion d’addictions au sens large, qui dépasse la dépendance aux substances psychoactives pour s’étendre aux addictions comportementales (les toxicomanies sans drogue).
Tant au niveau des définitions ou modèles explicatifs, que des propositions d’action thérapeutique ou préventive, il n’existe actuellement pas de consensus en matière de jeu pathologique.
Il ne s’agit pas ici d’une simple opposition entre des écoles différentes de techniciens du psychisme, qui débattraient du meilleur moyen de comprendre et de soigner une maladie ou un symptôme (les psychanalystes qui s’opposeraient aux comportementalistes, aux systémistes, aux biologistes...).
La frontière est plutôt entre une conception spécifique, tendant à faire du jeu pathologique une entité, une forme pathologique en soi, et d’autre part un abord de ce problème comme simple artefact, labile, et sans grand intérêt, du jeu en soi.
Descriptions du jeu pathologique
Pour qualifier quelqu’un de joueur, il faut qu’il s’adonne à cette activité avec une certaine fréquence, voire qu’il en ait fait une habitude. Selon le sociologue J. P. G. Martignoni-Hutin, le joueur serait, non celui qui joue, mais celui qui rejoue : cette définition peut être considérée comme le minimum requis... Avec Igor Kusyszyn, professeur de psychologie à Toronto (I. Kusyszyn, The gambling addict versus the gambling professional. The International Journal ofAddiction, 17, (2), 387-393, 1972), il est possible de distinguer plusieurs grandes catégories de joueurs.:
- Les joueurs sociaux : ce sont des personnes qui jouent soit occasionnellement, soit régulièrement, mais dans la vie desquelles le jeu garde une place limitée, celle d’un loisir.
- Les joueurs professionnels.
- Les joueurs pathologiques, addicts, seraient donc une catégorie à part. A la dépendance, s’ajoute dans leur cas la démesure, le fait que le jeu est devenu centre de l’existence, au détriment d’autres investissements affectifs et sociaux.
Il existe de fait, dans ce genre de classification, un déséquilibre, une mise en exergue dujeu pathologique, du simple fait qu’il se retrouve sur le même plan que le jeu social, toléré ou encouragé, et qui ne pose pas de problèmes aux usagers. Des sociologues ou des anthropologues regrettent que l’étude d’un phénomène quantitativement marginal puisse servir de grille principale d’analyse, ou de base pour des décisions politiques, en s’appliquant de fait alors à un ensemble beaucoup plus vaste : les joueurs dans leur ensemble pourraient être pénalisés, ou stigmatisés, par des analyses basées sur le jeu pathologique.
Le psychanalyste Edmund Bergler propose, en 1957 (E. Bergier, The psychology of gambling. International University Press, Inc, 1985, 244 p., Reprint. Originally, published: Hill and Wang, 1957, 1985)
une description systématique du gambler, du joueur pathologique, qu’il oppose au joueur du dimanche (not everyone who gambles is a gambler, écrit-il).
Le jeu pathologique selon le DSM
L’apparition officielle du jeu pathologique comme entité individualisée dans la littérature à visée médicale et scientifique, remonte seulement à 1980, avec son introduction dans le DSM-III.
Selon le DSM-IV (1994), le jeu pathologique est défini comme : pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes:
1. Préoccupation par le jeu (par exemple par la remémoration d’expériences de jeu passées ou par la prévision de tentatives prochaines, ou par les moyens de se procurer de l’argent pour jouer).
2. Besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes pour atteindre l’état d’excitation désiré...
3. Efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu.
4. Agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt de la pratique du jeu.
5. Joue pour échapper aux difficultés ou pour soulager une humeur dysphorique (par exemple des sentiments d’impuissance, de culpabilité, d’anxiété, de dépression).
6. Après avoir perdu de l’argent au jeu, retourne souvent jouer un autre jour pour recouvrer ses pertes (pour se refaire).
7. Ment à sa famille, à son thérapeute ou à d’autres pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes de jeu.
8. Commet des actes illégaux, tels que falsifications, fraudes, vols ou détournement d’argent pour financer la pratique du jeu.
9. Met en danger ou perd une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d’étude ou de carrière à cause du jeu.
10. Compte sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées dues au jeu.
Ces critères reprennent en grande partie ceux qui ont été proposés pour la définition de la dépendance aux substances psycho- actives.
Ils font du jeu pathologique un ensemble équivalent aux toxicomanies dans une vision aujourd’hui traditionnelle où elles sont abordées comme entité morbide.
D’autres grilles ou questionnaires ont été élaborées dans un esprit proche, celui de servir de base diagnostique, ainsi que d’outil d’évaluation statistique, ou d’appréhension de l’évolution d’un cas.
Ainsi du South Oaks Gambling Screen, de Lesieur et Blume (1987). Cette grille comporte des questions essentiellement centrées sur le jeu et l’argent, et est considérée comme un outil statistique fiable par la plupart des auteurs.
L’association Gamblers Anonymous, Joueurs Anonymes, propose aussi un questionnaire, à visée essentielle d’auto-évaluation, destiné à aider le futur membre à prendre conscience de ses difficultés.
Il existe une adéquation et une parenté entre les critères diagnostiques du DSM, et les questions du South Oaks Gambling Screen (SOGS) : ce dernier apparaît donc un outil adapté, dans la mesure où l’on accepte les définitions du premier. Sur les différentes grilles et échelles d’évaluation, cf. Lejoyeux (Neuropsy, 1999).
La trajectoire du joueur
Cette trajectoire est aussi souvent mise en avant comme élément descriptif : avec Custer, et après Dupouy et Chatagnon (1929), il est généralement admis que le joueur pathologique passe par une série de phases stéréotypées
- Phase de gain (winning phase) : c’est l’engagement dans le monde du jeu, avec peut-être la croyance que les gains vont pouvoir résoudre toutes les difficultés existentielles préexistantes. Mais il est aussi possible de faire l’hypothèse que le gain, la rencontre avec la chance, a sinon le rôle traumatique d’une rencontre avec le réel, du moins celui d’une déstabilisation, d’une perte des repères antérieurs...
- Phase de perte (loosing phase) : le joueur va rejouer pour tenter de se refaire. Avec Dupouy et Chatagnon, on pourrait souligner ici l’apparition d’une dimension de besoin :
besoin d’abord d’argent, reporté sur l’idée de gagner à nouveau, besoin ensuite simplement de rejouer...
- Phase de désespoir (desperation phase). Longtemps, c’est dans le jeu que le sujet cherche la solution de difficultés qui s’accumulent.
L’ensemble de ces phases s’étend sur plusieurs années, de 10 à 15 ans, favorisant l’assimilation métaphorique du jeu pathologique à une maladie physique progressive.
Pour Custer, il n’y aurait alors que quatre types d’issues à cette situation : le suicide, la délinquance et l’incarcération, la fuite, ou l’appel à l’aide.
La discussion autour du statut du jeu excessif, compulsif, addictif, recoupe donc toutes les querelles qui ont au fil des ans agité le champ de la toxicomanie, de l’alcoolisme, des addictions.
Il n’en reste pas moins la réalité humaine d’un phénomène quantitativement au moins aussi important que les toxicomanies aux drogues illicites.
Épidémiologie, profils sociologiques
Les études en population générale tendent à démontrer que le jeu pathologique est relativement répandu : le DSM-IV en estime la prévalence entre 1% et 3% de la population adulte, note que le trouble est plus fréquent chez l’homme que chez la femme et souligne que 20% des sujets concernés ont fait des tentatives de suicide.
Aux États-Unis (Lesieur), comme au Canada (Ladouceur), des études mettent en évidence que cette prévalence est de l’ordre de I à 2%, plus si l’on inclut dans la recherche les joueurs à problème. Ces chiffres sont l’objet de débats, et pour d’autres auteurs ils seraient plus près de 0,5%...
Les études indiquent aussi qu’il s’agit d’une problématique surtout masculine, jeune (surreprésentation des étudiants), et qui touche particulièrement les couches socialement défavorisées ou minoritaires de la population.
Il semble d’ailleurs que jeunes, pauvres, et femmes, soient sous-représentés dans la population admise en traitement, donc dans certaines études.
Le jeu pathologique en France
Une étude menée en France auprès des personnes consultant le service téléphonique SOS. Joueurs (A. Achour-Gaillard. Les joueurs dépendants : une population méconnue en France. CREDOC, 1993) donne un aperçu de la population française des joueurs dépendants.
Ce travail met en évidence une très forte surreprésentation des hommes (plus de 90% des sujets), un âge de 25 à 44 ans, la tranche la plus représentée étant les 40- 44 ans.
Une majorité de ces joueurs sont mariés, et ont des enfants.
La plupart ne jouent qu’à un seul jeu, les femmes surtout aux machines à sous.
Une majorité de ces joueurs sont surendettés, et l’altération des relations conjugales est une conséquence fréquente.
Près de 20% des joueurs ont commis des délits.
L’auteur remarque à la fois que cette étude n’est qu’exploratoire, mais qu’elle semble en accord avec les résultats des recherches nord-américaines : les différences de culture, quant au jeu, comme les différences de conception quant à l’abord de ce problème, n’empêchent donc pas une convergence, dans l’appréciation globale du phénomène ou le profil des joueurs pathologiques.
2) Les achats compulsifs
Les personnes qui achètent compulsivement convoitent des objets dont elles n’ont pas besoin, dont elles n’auront nullement l’utilité ou qu’elles n’ont pas les moyens d’acheter. Elles perdent tout intérêt pour les choses qu’elles acquièrent et souffrent souvent des conséquences de leurs actes, problèmes financiers ou conflits familiaux par exemple.
On ne peut pas traiter le sujet des achats compulsifs et la frénésie des acheteurs sans faire référence aux comportements ayant rapport à l’argent ! Il existe un nombre important de personnes dont ce rapport leur rend la vie difficile - des « dépenseurs » frénétiques, des avares, des économes rigoureux, des jouisseurs. Aux États-Unis les achats compulsifs sont à l’origine d’un récent concept concernant les acheteurs pathologiques, le buying spree, (qu’on pourrait traduire très librement par « l’orgie d’achat ») phénomène de plus en plus amplifié avec le développement des ventes par correspondance et des achats sur Internet.
L’achat compulsif apparaît dans la nosographie dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Pour Kraepelin et Bleuler, les acheteurs maniaques - oniomanes - font partie des monomaniaques. Cette notion d’achat compulsif apparaît dans le Manuel alphabétique de Psychiatrie (1960) sous le terme de prodigalité. Les québécois l’appellent le « magasinage ».
On décrit plusieurs types d’acheteurs, en fonction d’un rapport plus ou moins normal aux achats. Valence prends en compte quatre dimensions : l’importance de la sensation de manque ou de besoin, l’implication dans la situation d’achat, la fréquentation des magasins et les relations avec les vendeurs, la signification psychologique de la dépense et de la possession (G. Valence, A. d’Astous, L. Fortier, Compulsive buying : concept and measurement. J. Consummer Policy, 11,419-433).
1. Le consommateur émotionnel est très attaché au symbolisme et la valeur sentimentale de l’objet acheté. L’achat apparaît comme une auto-thérapie anxiolytique et/ou antidépressive.
2. Le consommateur impulsif est envahi par un désir soudain et spontané d’acheter. L’acheteur présente un fort sentiment de culpabilité après l’acte et les dépenses engagées.
3. Le consommateur fanatique véritable collectionneur - achète le même objet ou type d’objet de manière répétée.
4, L’acheteur compulsif accompli son acte comme une manière de lutte contre des tensions internes, des angoisses incontrôlables. Il éprouve souvent un fort sentiment de frustration en cas d’empêchement (contrainte de prix, familiale).
La classification de Mc Elroy (S. L. McElroy, P. E. Jr Keck, K. A.Phihips, Kleptomania, compulsive buying and binge-eating disorder. J. Clin Psychiatry 1995, 56 (Suppl 4), 14-26) est intéressante :
A. Pensées envahissantes et gênantes concernant les achats ou comportements d’achats inadapté ou impulsion d’achat correspondant à au moins une des propositions suivantes:
1. Pensées envahissantes et gênantes concernant les achats ou impulsions d’achats vécues comme irrépressibles, intrusives et dépourvues de sens.
2. Achats fréquents supérieurs aux capacités financières, achats fréquents d’objet inutiles ou achats d’une durée plus longue que prévu.
B. Les pensées, les impulsions ou le comportement provoquent une gêne marquée, font perdre du temps ou perturbent sensiblement le fonctionnement social ou les loisirs, ils entraînent des difficultés financières (dettes, interdits bancaires).
C. Le comportement excessif d’achat n’apparaît pas uniquement pendant les périodes de manie ou d’hypomanie.
Enfin, citons l’échelle « Compulsive Buying Scale » de Faber et O’Guinnun (R. J. Faber, T. C. O’Guinn, A clinical screener for compulsive buying. J. Consummer Res., 1992, 19, 459-469), reprise sous forme d’ auto-questionnaire par les professeurs Adès et Lejoyeux (1994) et qui comporte 19 questions auxquelles il s’agit de répondre par oui ou par non concernant l’impulsivité des achats, le caractère irrépressible de l’envie d’acheter, les conduites d’évitement (accompagnement, évitement des magasins), les conséquences des achats sur l’entourage familial et professionnel, les conséquences financières et le climat affectif dans lequel s’effectuent les achats (Voir annexe)
Les achats compulsifs sont actuellement en nette progression aux Etats-Unis et dans d’autres pays industrialisés. C’est ce qu’on apprend dans une enquête dont les résultats viennent d’être publiés dans l’American Journal of Psychiatry.
Lorrin Koran de l’université de médecine de Stanford (Californie) a cherché à savoir combien de personnes présentaient un comportement d’achat compulsif et quelles répercussions cela avait sur leurs vies.(Lorrin M. Koran, « Estimated Prevalence of Compulsive Buying Behavior in the United States ». American Journal of Psychiatry 163:1806-1812, October 2006)
Lorrin Koran a étudié les habitudes d’achat de 2513 adultes. Parmi eux, 5,8% étaient des acheteurs compulsifs. Les résultats montrent qu’il y a autant d’hommes que de femmes même si ces dernières sont plus nombreuses à se faire soigner pour ce trouble. D’autre part, les acheteurs compulsifs sont plutôt jeunes : moins de 40 ans ou autour de la quarantaine. Plus de la moitié d’entre eux ont des revenus assez modestes. Et 58,3% d’entre eux règlent leurs achats « souvent à très souvent » avec leur carte de crédit (contre seulement 12,9% des personnes qui n’achètent pas compulsivement).
Pour le Dr Koran, « l’achat compulsif doit être traité comme un problème médical ».Il ressort également de l’enquête la nécessité que les faits sociétaux qui contribuent à l’expansion de ce problème comme « les facilités de crédit, l’entraînement à une gestion inadéquate de l’argent, les taux d’intérêts sans cesse baissés et la dilution des structures familiales » soient considérés comme des facilitateurs de comportement compulsif en matière d’achats.
3) Le sport extrême ou intensif
La pratique excessive du sport apparaît comme une récente forme d’addiction sans drogue. Comme pour d’autres comportements addictifs on peut considérer qu’elle commence par des excès, par la recherche de sensations de plaisirs et de désinhibition à travers la pratique sportive qui va aboutir à l’installation d’un besoin irrépressible et, dans certains cas des signes de sevrage.
Être sportif de haut niveau nécessite un investissement maximum et l’acceptation d’un processus intrapsychique lié à la transformation corporelle, résultat d’une pratique intense et de longue durée. Combien de sportifs de haut niveau ont-ils sacrifié leur jeunesse (au moins au sens que les non-pratiquants peuvent donner au terme sacrifice). La reconnaissance de leurs efforts, des années de galère et de sueur arrivent sous forme de médailles, d’applaudissements et malheureusement d’un enjeu au niveau de la pub et de contrats mirobolants.
La maîtrise et la programmation de la transformation corporelle confrontent souvent l’individu aux limites de ses compétences psychomotrices. Selon Birouste (J. Birouste, Économie pulsionnelle des goûts des sportifs, Sport et psychologie, Revue EPS, Dossiers EPS n° 10, 367-372) le sportif est un tacticien /praticien de la limite. Le sportif cherche sans cesse l’idéal de la perfection, de l’harmonie, le sportif est un jusqu’au boutiste. Le sportif acquiert une reconnaissance individuelle et sociale, ses efforts sont applaudis et évalués par un public de plus en plus exigeant. Cette situation peut expliquer les difficultés que les sportifs éprouvent de manière régulière dans leur pratique quotidienne ou la nécessité pour certains d’avoir recours aux tuteurs d’accompagnement à la manière dont les toxicomanes peuvent investir leur produit?
Pour certains sportifs, la répétition d’entraînements, l’accoutumance du corps au mouvement, la ritualisation et la répétition obsessionnelle des gestes peuvent prendre une dimension compulsive voire d’addiction au geste. Ces sportifs ressentent la nécessité de remplir un vide de la pensée ou un vide affectif, et dans ce cas l’objet investi est le sport et le mouvement. Ce besoin compulsif, qu’on pourrait décrire comme un lien addictif, se manifeste souvent par la nécessité de pratiquer sans relâche son sport, de contrôler sans cesse son image dans la glace et dans le regard des autres. Cette conduite addictive, nommée bigorexie est actuellement étudiée (surtout aux USA).
Pour une partie de sportifs de haut niveau, le sport interviendrait de la même manière qu’un stupéfiant comme remède à la souffrance corporelle ou psychique. Ainsi, le sport, pratiqué au quotidien de manière répétitive, empêcherait la pensée douloureuse et l’anesthésierait comme peut le faire l’héroïne.
Dans le cas des bodybuilders, la fixation au niveau d’une recherche de sensations est intriquée avec la valorisation des états douloureux consécutifs de la contraction musculaire répétitive en anaérobie. Pour certains sportifs, la phobie de la passivité, décrite par Claire Carrier (C. Carrier, Modèle de l’investissement sportif de haut niveau et risque de lien addictif au mouvement, Annales de Médecine Interne, vol. 151, avril 2000, A60-A64) amène une demande d’auto-excitation avec parfois prise de produits dopants ou même de drogues. Dans le cas des bodybuilders, on sait que des substances comme l’acide gamma-hydroxybutirique (ou le GHB), voire actuellement le bêta-hydroxy betamethylbutyrate (ou le HMB), ont été et sont même aujourd’hui largement employés. Ces substances dont le potentiel addictif est reconnu, apportent un état de bien-être par désinhibition et effet antalgique puissant. Au niveau kinesthésique, cet effet aide à surmonter des douleurs parfois insupportables, mais celui qui est le plus recherché est la maîtrise d’un effet de type orgasmique.
Si on consulte des revues spécialisées, celles-ci foisonnent de publicités pour les produits réputés dopants, ayant des effets sur la prise de masse musculaire ou sur l’accentuation d’un effet anabolisant qui favorise la prise de masse. Ces revues sont de véritables vitrines pour des corps exhibés et montrés sous la meilleure lumière. Certains sportifs avouent que leur objectif est de pouvoir un jour s’exhiber dans les pages d’une revue ou d’un calendrier. Dans une d’entre elles, un article consacré au vieillissement portait comme sous-titre La qualité de la vie ne se trouve pas dans une pilule (J. Weider, Lutter contre le vieillissement, Muscle et Fitness, nov. 1998, n° 133, p. 8). Cet article signé par Joe Weider, fondateur d’une prestigieuse école de fitness, essaye de démontrer que la pratique régulière de l’exercice et une hygiène alimentaire n’ont pas leur pareil pour rétablir et préserver les processus physiologiques de l’organisme. Dans ce numéro, on constate que sur 120 pages du magazine, plus de la moitié sont des pubs directes pour des produits et que la grande majorité des articles évoquent une pratique sportive et des résultats extraordinaires obtenus grâce à ceux ci. Comment dans ces conditions ne pas tomber dans le piège ?
Après avoir étudié les marathoniens et découvert la poursuite de l’activité physique malgré un état de fatigue et de routine, William Glasser a créé en 1976 (W. Glasser, Positive Addiction, HarperCollins Publishers; Édition : 1st Harper March 1976, l76p.) le concept d’addiction positive, concept qui mettait en opposition une dépendance ayant des conséquences bénéfiques, visibles immédiatement avec les addictions dites négatives (toxicomanies, alcoolisme). On ne s’attardera pas sur le bien fondé d’un tel concept qui crée en quelque sorte des addicts nobles et des pauvres addicts, mais il faut mentionner que de telles dérives sont possibles.
4) Les troubles des comportements alimentaires (ou TCA)
On retrouve dans la plupart des expressions de troubles du comportement alimentaire les mêmes comportements addictifs que dans les conduites de dépendance à un produit psychoactif : la personne est alors dépendante de sa maladie comme d’autres le sont d’une substance (alcool, drogues, médicaments) ou d’une addiction comportementale comme le jeu pathologique, la dépendance affective à une autre personne, ou les achats compulsifs. En effet, la personne anorexique ou boulimique est dans l’urgence du besoin (craving) et de la satisfaction comme c’est le cas dans d’autres dépendances.
Elle perd le contrôle de son comportement, est dans le déni par rapport à la gravité de sa maladie et en constante recherche de sensations fortes. Au travers de ce comportement addictif, la personne qui souffre d’anorexie ressent un certain plaisir lié au fait de jeûner et celle qui souffre de boulimie, un état d’euphorie avant, pendant et/ou immédiatement après la crise.
Les parallèles avec un comportement de dépendance sont plus visibles avec la boulimie : la personne, comme celle souffrant d’une dépendance à l’alcool ou à la drogue, sent le besoin pressant et l’obsession de manger. Elle peut dépenser des sommes astronomiques pour se procurer sa nourriture allant jusqu’à s’endetter. Quand la crise et le besoin de manger surviennent, elle entre dans une sorte d’état second et il est extrêmement difficile d’empêcher la perte de contrôle.
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont reconnus comme de véritables maladies, plus spécifiquement, comme « un trouble mental », c’est-à-dire un ensemble de comportements, d’attitudes et de réactions émotionnelles qui font souffrir la personne malade et son entourage.
Ils peuvent apparaître sous plusieurs formes : l’anorexie et la boulimie sont les plus connues. Ces deux symptômes se présentent de manière isolée ou combinée. Il existe d’autres formes de TCA qui ne répondent ni aux critères de l’anorexie, ni à ceux de la boulimie : on parle alors de troubles atypiques du comportement alimentaire.
Aujourd’hui encore, il est difficile de définir précisément les origines du déclenchement d’un trouble alimentaire. Les causes sont rarement uniques et très étroitement liées à l’histoire personnelle, à l’environnement familial et au cadre social de la personne concernée.
L’expérience montre qu’il existe un certain nombre d’éléments que l’on retrouve régulièrement chez les personnes victimes d’un trouble alimentaire. Il est toutefois important de ne pas généraliser et de tenir compte avant tout de l’histoire personnelle de chacun.
Citons quelques exemples d’éléments que l’on peut retrouver dans les situations de troubles des comportements alimentaires; ils ne sont ni exclusifs, ni exhaustifs.
1. Les facteurs psychologiques :
- Mauvaise estime de soi
- Souci de plaire et d’être aimé
- Difficulté à s’affirmer
- Très forte sensibilité
- Difficulté à grandir, angoisse face au fait de devenir adulte
La personne souffrant d’un trouble alimentaire peut avoir été victime d’un événement traumatique (violence, abus, …).
2. La sphère familiale et la façon d’aborder les émotions dans le cadre familial :
- Difficultés à communiquer et à exprimer ses émotions (Alexithimie)
- Importance de l’apparence
- Confusion des liens
- Parentification (inversion des rôles parents-enfants – l’enfant doit assumer des responsabilités d’adulte)
- Grandes attentes et tendance à souligner les performances
3. Cadre culturel et social :
Les troubles alimentaires se sont développés essentiellement dans les sociétés de type occidental où la nourriture est abondante et où, paradoxalement, la minceur, le contrôle de son apparence et de son poids sont associées à l’idée de beauté, de performance, d’efficacité et de réussite.
- Pressions sociales
- Images du corps idéal
- Idéal de perfection
- Régimes
L’adolescence est une période particulièrement à risque ; c’est à ce moment-là que se déclenche une grande partie des troubles alimentaires. Il y a des origines à la maladie, et il y a aussi des causes qui la maintiennent. Le trouble du comportement alimentaire apparaît pour signifier que quelque chose de plus profond ne va pas. On estime que 9 à 10% des femmes adultes souffrent de problèmes alimentaires de type compulsif, c'est-à-dire comportant une difficulté à contrôler la prise de nourriture et une attention exagérée pour le poids et la silhouette. La réalité se situe probablement au-delà de ces pourcentages, car on sait que les personnes souffrant de boulimie ont honte et taisent leur maladie, se soustrayant ainsi aux statistiques. Un autre constat inquiétant est le nombre croissant de filles très jeunes concernées par la maladie (12-14 ans). Enfin, si ces maladies touchent surtout des femmes, les hommes ne sont pas épargnés. On estime qu’ils représentent 10 à 15% de l’ensemble des personnes concernées par un trouble alimentaire.
L’anorexie mentale
Les symptômes :
Pour définir l’anorexie mentale, le manuel de l’association américaine de psychiatrie
(DSM IV) a déterminé les critères suivants :
- Restriction alimentaire : réduction de l'apport calorique (par exemple, élimination d'aliments tels que pain, pommes de terre, pâtes, etc.), évitement de la graisse et des protéines, planification de régimes stricts
- Amaigrissement : perte d'au moins 15% ou plus du poids initial, avec refus de maintenir le poids du corps au-dessus du minimum requis, compte tenu de l'âge et de la taille.
- Aménorrhée : chez les femmes, absence d'au moins trois cycles menstruels consécutifs. Donc, la disparition des règles
- Image déformée du corps qui consiste en une perception erronée, quasiment illusoire, d'être grosse même si le corps est décharné
- Frayeur intense de prendre du poids ou de devenir grosse, qui ne diminue pas au fur et à mesure de l'amaigrissement.
On connaît deux principaux types d'anorexie :
1) Restrictif : la personne s'interdit la plupart des aliments qu'elle considère comme étant trop caloriques. Elle s'impose un régime particulièrement strict, elle saute les repas, elle jeûne.
2) Avec des crises de boulimie (dans 50 à 60% des cas) : après quelques temps, ces restrictions draconiennes débouchent sur une fringale incoercible qui la pousse à ingurgiter des grandes quantités de nourriture, qu'elle vomira volontairement, parfois même en plusieurs fois pendant sa crise.
Signes associés et conséquences physiques le plus souvent constatés :
On observe plusieurs signes associés et des conséquences physiques qui peuvent apparaître de manière isolée ou combinée, en fonction de la gravité et de la durée de la maladie. On constate également des symptômes somatiques qui sont ceux d'un état carentiel :
- Signe de dénutrition
- Hypothermie constante, altérations dentaires
- Fontes musculaires, yeux enfoncés dans leurs orbites
- Peau violacée, froide et moite (problème de circulation)
- Cheveux ternes et secs, ongles striés, cassants
- Œdèmes de carences (aux chevilles)
- Visages ridés, creusés, effacement des fesses et des seins
- Crampes au ventre ; constipation
- Tension artérielle basse, bradychardie par hypovolémie
- Hyperactivité,
- Déni de la maladie, de la maigreur
- Anxiété
- Obsessions concernant les aliments, collections de recettes et outils de cuisine…
- Retrait des relations sociales, peur de manger avec les autres
- Irritabilité
- Sommeil perturbé
- Aménorrhée, problèmes de stérilité
- Hypocalcémie, risques d’ostéoporose
- Carences vitaminiques et en oligo-éléments
- Lanugo (apparition d’un fin duvet de poils qui couvrent la peau)
- Cyanose des extrémités
- Dépression :
a) dans la phase la plus sévère de la maladie : maigreur extrême avec épuisement physique et psychologique
b) pendant la prise en charge, comme « effet de sevrage » du comportement alimentaire
Comportements :
Les manifestations de la maladie sont particulières à chaque personne concernée. On observe toutefois chez les personnes souffrant d’anorexie un certain nombre de comportements qui reviennent fréquemment :
- Restriction alimentaire : la restriction volontaire est très rarement reconnue d'emblée, l'anorexique rationnalise sa restriction par des excuses prises au hasard et souvent sans fondement pour autrui: douleurs abdominales, ventre gonflé...La restriction est souvent cachée à l'entourage par des manœuvres témoignant d'un intérêt excessif pour la nourriture: l'anorexique fait la cuisine pour toute la famille par exemple. Mais parfois elle est exhibée fièrement par « esthétisme ».
On peut notamment repérer cette restriction par trois signes :
- L'anorexique mange peu, sélectionne ses aliments
- L'anorexique provoque des vomissements post-pandriaux (après le repas)
- L'anorexique abuse des laxatifs, vomitifs, diurétiques et des lavements. Elle consomme des quantités impressionnantes de liquides qui peuvent parfois, notamment avec l’eau, faire glisser l’anorexique dans la potomanie.
- Anosognosie : Le déni des troubles se traduit notamment par une attitude d'indifférence face à la maigreur, l’anorexique éprouve même au contraire un sentiment de bien-être et de force contrastant avec sa maigreur. Cette sensation permet à l'anorexique de supprimer ses angoisses, son sentiment de vide et de dépression. Elle ne s'inquiète en aucun cas de son état de santé. Ce déni des troubles est bien sur à l'origine d'un retard dans le diagnostique et donc dans la prise en charge.
- Obsession : la vie de la personne souffrant d’anorexie est réduite à une seule préoccupation : maigrir. Toutes ses pensées sont occupées à comptabiliser ce qu’elle a mangé et ce qu’elle va manger. C’est une perpétuelle obsession et toute sa vie est tournée autour de la nourriture : comment faire pour maigrir, pour cacher à son entourage le fait qu’elle ne mange pas, pour éviter d’être invitée à manger chez des amis ? Elle peut mentir à son entourage afin de fuir des situations trop difficiles pour elle. L’obsession est telle qu’elle peut se peser plusieurs fois dans une même journée pour s’assurer qu’elle n’a pas pris un gramme ou passer des heures devant le miroir pour se regarder et vérifier la moindre parcelle de son corps.
- Image de Soi : la personne qui souffre d’anorexie a une piètre image d’elle-même. Elle a peu d’estime pour elle-même, ne se trouve pas belle ; elle ne s’aime pas ! Elle a beaucoup de peine à s’accepter telle qu’elle est, c’est pourquoi, elle utilise l’autodestruction.
- Autodestruction : pour faire face à une trop grande souffrance, elle cherche à se faire du mal et peut avoir des comportements d’automutilation, voire même des tentatives de suicide.
- Contrôle : la personne souffrant d’anorexie a besoin d’avoir le sentiment de contrôler sa vie : à ses yeux, ce contrôle passe par celui de la nourriture : elle met tout en place pour vérifier le nombre de calories qu’elle peut avaler dans la journée, sélectionne les aliments qu’elle a le droit de manger. Il arrive souvent qu’elle prenne possession de la cuisine et adore mijoter de bons petits plats pour son entourage sans y toucher elle-même. Ce contrôle s’exerce aussi sur l’évacuation de la nourriture par des vomissements provoqués ou par la prise de laxatifs et/ou diurétiques. Elle est dotée d’une très grande détermination et son organisation personnelle est imperturbable.
- Perfectionnisme et maniaquerie : les personnes anorexiques sont en général très perfectionnistes et réussissent brillamment leur scolarité car tout travail est préparé à la perfection. Elles sont, la plupart du temps, très intelligentes et font preuve d’une grande créativité (écriture de poèmes, récits, peinture, etc.). A la maison, l’anorexique a besoin d’être active. Elle déploie une immense énergie pour faire le ménage et maintenir un ordre impeccable.
- Abandon de ses loisirs et perte de sa vie sociale : la personne souffrant d’anorexie est tellement obsédée par le désir de maigrir sans fin qu’elle va, petit à petit, s’enfermer dans son monde et être de moins en moins accessible pour son entourage qui, de son côté, a du mal à la comprendre et à accepter tous ces changements.
- Recherche de chaleur : à force de ne pas s’alimenter convenablement, la personne souffrant d’anorexie a de la peine à se réchauffer. Elle a tendance à avoir froid, à se tenir près des radiateurs, à se promener avec sa bouillotte contre elle, à augmenter le chauffage de sa chambre et à se cacher sous de multiples couches de vêtements amples.
- Difficulté à trouver le sommeil : avec le temps, elle a de plus en plus de peine à dormir la nuit. Ses troubles du sommeil et son amaigrissement entraînent des difficultés de concentration et un épuisement.
- Hyperactivité : l'anorexique pratique souvent un sport voire plusieurs, afin de perdre des calories (souvent non ingérées) et de prouver ses capacités de maitrise et d'ascétisme. Pour maigrir plus vite, la personne souffrant d’anorexie fréquente les centres de fitness, fait du sport de manière extrême et parfois même jusqu’à l’épuisement physique. Elle profite de chaque occasion pour dépenser davantage de calories. On associe souvent l'anorexie à l'addiction au sport.
- Comportement extrémiste : la personne qui souffre d’anorexie peut facilement passer d’un extrême à un autre. Ce comportement n’est pas conscient. Par exemple, elle peut avoir une période de désintérêt total de la sexualité et puis soudain, rechercher par tous les moyens la possibilité de séduire les hommes. Elle a des périodes d’euphorie où tout va bien et d’un coup, elle repart dans un moment de forte dépression, de découragement et d’isolement. Elle a tendance à agir de manière très directe, sans réfléchir aux conséquences de ses actes pour elle et pour son entourage, avec lequel elle peut paraître très dure.
- Affectivité limitée : la vie sexuelle est inexistante : absence d'activité masturbatoire, absence de désir sexuel. La sexualité est plutôt vécue sur un mode automatique ou pragmatique. Les contacts sociaux sont réduits mais grâce à internet par exemple, elles peuvent présenter une pseudo-adaptation sociale
La boulimie
La boulimie est un terme désignant les individus qui ont des épisodes impulsifs de suralimentation au cours desquels les personnes avalent quantité de nourriture pour « se remplir », sans choix particulier d’aliments et ayant des comportements de compensation par la suite (vomissements, laxatifs, sports…). L’hyperphagie est à distinguer de la boulimie dans le sens où l’individu hyperphagique n’adopte pas, après la suralimentation, de comportements de compensation.
La boulimie survient en général à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte et souvent, elle commence pendant ou après une période de régime alimentaire restrictif. En effet, un régime, surtout s’il est rapide et vise un changement radical, risque alors de donner une dimension de déséquilibre physiologique, mais aussi transformer une mauvaise habitude en une tentative de maîtrise, avec un envahissement de l’existence et d’isolement sur le plan affectif et social. Le sujet devient dépendant de l’expérience particulière de la frénésie d’engloutissement de nourriture.
De nombreux auteurs soulignent les similitudes entre les TCA et les conduites addictives, à savoir un « comportement procurant normalement plaisir et soulagement que le sujet ne peut ni maîtriser ni interrompre malgré ses conséquences négatives ». L'idée de toxicomanie sans drogue de Fenichel est toujours d'actualité. Le concept de dépendance est d'ailleurs le seul facteur psychopathologique qui permette de relier la diversité des caractéristiques psychologiques, comportementales et relationnelles, des situations et de leur gravité. La compréhension de la psychopathologie sous-jacente (problématique de dépendance-autonomie) permet de reconnaître, au-delà des aspects symptomatiques manifestes, la réalité psychique de la personne boulimique.
Les symptômes
Pour définir la boulimie, le manuel de l’association américaine de psychiatrie (DSM IV) a déterminé les critères suivants :
- Survenue récurrente de crises de boulimie (consommation rapide de grandes quantités de nourriture en un temps limité).
- Sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise, c'est-à-dire, de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas contrôler ce que l’on mange.
- Comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant à prévenir la prise de poids : vomissements provoqués, emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres médicaments, jeûne, exercices physiques excessifs (le poids est proche de la normale)
- Préoccupations persistantes, voire obsessionnelles au sujet du poids et de la silhouette. L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle
- Les crises de boulimie et les comportements compensatoires inappropriés surviennent tous les deux, en moyenne, au moins deux fois par semaine pendant au moins trois mois.
- L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle.
- Le trouble mental ne survient pas exclusivement pendant des épisodes d’anorexie mentale. Les accès boulimiques ne doivent pas être secondaire à un trouble physique reconnu ; il est nécessaire d’éliminer les causes d’hyperphagie secondaires à des causes organiques : tumeur cérébrale (frontale), épilepsie partielle, syndrome démentiel, endocrinopathie.
On élimine aussi les hyperphagies secondaires à des pathologies psychiatriques : accès maniaque, schizophrénie, équivalent dépressif, équivalent névrotique. On la distingue aussi d’autres troubles alimentaires comme le grignotage ou l’hyperphagie.
On connaît 2 principaux types de boulimie :
a) Type avec vomissements et/ou prise de laxatifs
b) Type sans vomissements ni prise de laxatifs, mais ayant recours à d’autres comportements compensatoires inappropriés.
Il existe un autre type de boulimie sans conduite purgative ou compensatoire appelée hyperphagie boulimique (avec prise de poids). Par ailleurs, certaines personnes ne remplissent pas tous ces critères mais souffrent quand même de boulimie.
Signes associés :
Les personnes qui souffrent de boulimie peuvent présenter un ou plusieurs signes associés, en fonction de la gravité et de la durée de la maladie :
- Dépression
- Tendance à l’anxiété (phobie sociale, attaque de panique,…)
- Conduites hyperactives possibles
- Autre toxicomanie ou comportements compulsifs (alcoolisme, achats compulsifs, vols, et)
- Tendance à l’automutilation (coupures, brulures, etc.…), exprimant le dégoût de son corps et la haine de soi.
Conséquences physiques :
Une ou plusieurs des conséquences mentionnées ci-dessous peuvent apparaître ; elles dépendent notamment de la durée et de la gravité de la maladie.
- Erosion de l’émail dentaire et caries dues aux vomissements provoqués
- Douleurs gastriques et abdominales (troubles digestifs), dilatation de l’estomac
- Inflammations chroniques de la gorge et de l’œsophage
- Carences vitaminiques, en minéraux et en oligoéléments
- Gonflement de certaines glandes salivaires (parotides)
- Fatigabilité, épuisement
- Hypocalcémie, risque d’ostéoporose
Comportements :
Les manifestations de la maladie sont particulières chez chaque personne concernée. On observe toutefois un certain nombre de comportements qui reviennent fréquemment chez les personnes souffrant de boulimie :
- Obsession : la nourriture envahit toutes les pensées : la planification des crises, comment les dissimuler à l’entourage, comment éliminer tout ce qui a été absorbé. Dans l’esprit de la personne qui souffre de boulimie, la nourriture est comme une drogue. Au moment où le besoin de manger l’envahit, la tension est si forte que la personne se trouve dans une sorte d’état second, incapable de se concentrer sur autre chose. La seule chose qui importe alors est de se retrouver seule pour « faire une crise ». Pour cela, il lui arrive de supprimer ses rendez-vous ou d’organiser son emploi du temps en conséquence.
- Contrôle : malgré cette pression extrêmement forte, la personne qui souffre de boulimie fait tout pour cacher son état et sa maladie. En public, elle donne la plupart du temps l’image d’une personne « sans problèmes ». Elle met beaucoup d’énergie à maintenir cette image parfaite.
- Repas : manger en public est pénible pour la personne qui souffre de boulimie. Elle évitera donc un maximum ces situations (sorties au restaurant, fêtes, réunions de famille). Si elle se trouve en compagnie, elle mangera en général peu. Pendant ou après le repas, il peut arriver qu’elle disparaisse régulièrement aux toilettes et ses absences durent un bon moment.
- Image de Soi : honteuse de son comportement qu’elle garde secret, la personne boulimique a une piètre image d’elle-même. Les crises ne font que renforcer le dégoût de soi, l’entraînant dans une spirale infernale autodestructrice. Elle manque fortement de confiance en elle.
- Régimes : la crainte de grossir est une obsession. La personne souffrant de boulimie n’est jamais satisfaite de son poids (qui est généralement normal) et met une grande énergie à essayer d’éliminer par toutes sortes de moyens ce qu’elle a absorbé durant la crise. Elle saute souvent des repas et finalement, tenaillée par la faim, finit par craquer et ingurgite de grandes quantités d’aliments.
- Comportement social « chaotique » : la personne a de la peine à respecter ses rendez-vous, à tenir parole et à gérer son argent. Les dépenses occasionnées pour la nourriture peuvent entraîner de sérieux problèmes financiers, pouvant parfois mener au vol à l’étalage. Toute l’énergie passe dans la préoccupation pour la nourriture, l’entraînant peu à peu à abandonner ses loisirs, à perdre de vue ses amis et à s’isoler.
Les troubles atypiques du comportement alimentaire
Les symptômes :
Les troubles atypiques du comportement alimentaire sont des TCA qui ne répondent pas aux critères spécifiques de la boulimie ou de l’anorexie. On parle également de syndrome partiel de trouble du comportement alimentaire :
1) Hyperphagie boulimique (Binge Eating Disorder) : présence d’épisodes récurrents de crises de boulimie, non suivi de comportements compensatoires tels que vomissements ou hyperactivité.
2) Tableaux partiels d’anorexie :
Soit :
- tous les critères de l’anorexie mentale sont présents, mais les règles persistent
ou
- tous les critères de l’anorexie mentale sont présents mais l’indice de masse corporelle reste stable, juste au-dessus de 17,5.
3) Tableau partiel de la boulimie :
Tous les critères de la boulimie sont présents mais les crises de boulimie ou les moyens compensatoires inappropriés surviennent à une fréquence inférieure à deux par semaine, ou pendant une période de moins de trois mois.
4) Vomissements fréquents suite à l’absorption de petites quantités de nourriture
5) Le mérycisme : le mérycisme est un trouble du comportement alimentaire se caractérisant par des régurgitations et des remastications des aliments. Les aliments en cours de digestion remontent dans la bouche, où ils peuvent être à nouveau avalés, mastiqués ou crachés.
En général la maladie évolue spontanément vers sa résolution mais il peut y avoir des complications telles que la dénutrition et/ou un retard de croissance notamment chez les plus jeunes.
6) Orthorexie : désir extrême de consommer une nourriture saine, tournant à l’obsession.
Les sujets arrêtent de manger certains aliments, qu'ils aimaient pourtant jusqu'à présent à cause de la signification symbolique que revêt l'aliment. Certains adolescents deviennent ainsi végétariens ou même végétaliens de façon inattendue. Selon certains auteurs, ces troubles résulteraient d'un symptôme hystérique ou d'idées sous-jacentes quasi délirantes.
7) La chocolatomanie : la chocolatomanie peut, dans certains cas, être considérée comme un trouble alimentaire. En ce qui concerne les amateurs de chocolat, on peut en distinguer deux types : ceux, 8 fois plus nombreux, qui recherchent plutôt le goût du sucre et qui privilégient le chocolat au lait, aux noisettes ou fourré, et ceux qui préfèrent le chocolat noir avec 60 ou 70 % de cacao, parmi lesquels on retrouve les chocolatomanes. La chocolatomanie est ainsi définie dans des travaux de 1985, effectués par les Drs Favre-Bismuth et Grouzmann, selon les critères suivants :
- Prise exclusive de chocolat noir (à plus de 50% de cacao)
- Prise de chocolat égale ou supérieure à 100 gr. par jour
- Choix d'une marque de chocolat particulière
Cependant, seulement certaines personnes présentent un comportement obsessionnel par rapport à l'ingestion de chocolat, en arrivant à se nourrir presque exclusivement de ce produit. La plupart des chocolatomanes, à la différence des personnes boulimiques, ne souffrent pas particulièrement de leur « dépendance » au chocolat et n'éprouvent pas de sentiments de culpabilité ou de honte. En général, ces personnes ne sont pas obsédées par la hantise de grossir et n'adoptent pas des stratégies de contrôle du poids comme celles employées généralement par les personnes boulimiques (vomissements, emploi de diurétiques ou laxatifs). Enfin, si « perte de contrôle » il y a par rapport à l'ingestion de chocolat, celle-ci reste limitée au chocolat et ne concerne pas d'autres produits sucrés.
8) Le grignotage compulsif : le grignotage compulsif est un besoin irrépressible de manger certains aliments spécifiques. Les femmes sont d'avantage concernées que les hommes, notamment à la période prémenstruelle. Les facteurs psychologiques, tels que la dépression, le manque de confiance en soi, favorisent fortement le grignotage compulsif qui semble particulièrement orienté vers les aliments gras et sucrés qui sont perçu comme source de satisfactions émotionnelles. Derrière une crise de grignotage compulsif, il y a généralement un trop-plein de tensions : une émotion forte que l'on a refoulée, un excès de stress... Dans la prise d'aliments, on recherche une consolation, un soutien.
Les conséquences :
Les perturbations du comportement alimentaire peuvent apparaître sous bien d’autres formes encore. Il est important de s’en inquiéter lorsque la préoccupation pour la nourriture et le poids prend une place excessive et entraîne des répercussions sur le quotidien. On estime que 30 à 40 % des syndromes partiels évoluent en syndromes complets.
Les conséquences psychiques des troubles atypiques sont très proches de celles correspondant aux syndromes complets :
- Basse estime de soi,
- Dépression,
- Repli sur soi.
Peu d’études se sont penchées sur les conséquences somatiques. On observe toutefois fréquemment :
- Des troubles gastro-intestinaux,
- Des vertiges,
- Des troubles du cycle menstruel,
- Un retard de croissance chez les jeunes,
- Une hypotension.
5) La dépendance affective
Il n’y a pas définition de « dépendance affective » dans le DSM-IV. Ce n’est pas un trouble obsessionnel compulsif (TOC) comme les autres dépendances mais on est concerné par des critères diagnostiques communs. Il faut plutôt regarder du côté de la « personnalité dépendante ». On la décrit comme « un besoin général et excessif d’être pris en charge qui conduit à un comportement soumis et « collant » et à une « peur de la séparation » qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers. Comme en témoignent au moins 5 des manifestations suivantes, cela signifie que si l’on possède au moins 5 critères diagnostiques on peut se considérer comme ayant une personnalité dépendante. Il est à noter que l’on peut être un dépendant affectif en dehors d’une relation de couple uniquement. On peut l’être à propos d’un ami, d’un parent, etc. Il y a lieu de considérer les critères suivants en ayant en tête l’affectivité, ou en tout cas la voir dans cette perspective.
Suggestion de critères diagnostiques de la dépendance affective :
1) Le sujet a du mal à prendre des décisions dans la vie courante sans être rassuré ou conseillé de manière excessive par autrui (Ex. : le conjoint, les parents, etc.) ;
2) Le sujet a besoin que d’autres assument ses responsabilités dans la plupart des domaines importants de sa vie (Ex. : émotionnel, social, financier) ;
3) Le sujet a du mal à exprimer un désaccord avec autrui de peur de perdre son soutien ou son approbation. NB. Ne pas tenir compte d’une crainte réaliste de sanctions. Dans ce critère diagnostique on risque de retrouver ce qu’on appelle la personnalité caméléon. C’est une personne qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre. Elle pense et dit ce que les autres pensent et disent. Souvent elle renie sa propre opinion, son propre sentiment. Elle ne s’oppose jamais. C’est comme si elle fondait dans le décor. Comme le caméléon ;
4) Le sujet a du mal à initier des projets ou à faire des choses seul (par manque de confiance en son propre jugement ou en ses propres capacités plutôt que par manque de motivation ou d’énergie). (Ex. : quand on demande à la personne ce qu’elle a le goût de faire ou de manger et elle répond : « et toi ? ». Il est très difficile pour la personne de choisir ;
5) Le sujet cherche à outrance à obtenir le soutien et l’appui d’autrui, au point de se porter volontaire pour faire des choses désagréables. (Ex. : c’est le pire critère diagnostique car c’est ici que la personne accepte l’inacceptable, se renie en quelque sorte. Tout faire, même si c’est contraire à nos valeurs profondes, pour se faire aimer ou pour éviter de se faire rejeter et avoir à se confronter à la solitude ;
6) Le sujet se sent mal à l’aise ou impuissant quand il est seul par crainte exagérée d’être incapable de se débrouiller.
7) Lorsqu’une relation se termine, le sujet cherche de manière urgente une autre relation qui puisse assurer les soins et le soutien dont il pense avoir besoin ;
8) Le sujet est préoccupé de manière irréaliste par la crainte d’être obligé de se débrouiller seul. L’utilisation du courrier électronique, les groupes de discussions (chatlines) ou les sites de rencontres peuvent être, par exemple, symptomatiques d'une dépendance affective quand ils sont « consommés » plusieurs heures par jours. On voit des personnes éprouver des symptômes dépressifs, éprouver de la tristesse ou de l'abandon en ne recevant pas les lettres d'amour virtuelles attendues, être déçu par le trop peu de courrier électronique reçu ou revenir constamment vérifier s'il n'y a pas de courrier électronique qui l’attend ; le malaise, la frustration d'avoir manqué un rendez-vous, le fantasme et les intrigues romantiques « habitent » la personne.
Cette addiction se retrouve tout autant chez les hommes que chez les femmes. Il est fréquent de rencontrer des dépendants affectifs chez le (la) conjoint(e) de l’alcoolique et/ou du toxicomane.(On parle alors de codépendance affective) Le dépendant affectif reste accroché à son conjoint pour diverses raisons : parce que la sexualité est satisfaisante (c’est souvent ce qui fonctionne le mieux dans la relation) et que l’on a le sentiment de ne pouvoir s’en passer, l’insécurité financière joue aussi un rôle important quand on pense se séparer de son conjoint. Enfin, l’idée de la solitude est souvent terrifiante.
La dépendance affective peut découler d’un ensemble de facteurs dont le principal apparaît souvent comme un environnement familial déficient, appelé parfois une famille dysfonctionnelle, environnement dans lequel l’individu a pu être carencé au niveau affectif. Un des deux parents (ou les 2) a été souvent élevé lui-même, dans le cadre d’une famille dysfonctionnelle. Ensuite, le modèle se reproduit d’une génération à l’autre. C’est le même phénomène qu’un enfant qui voit son père battre sa mère et qui reproduit, avec sa conjointe, quand il est adulte, le même comportement que son père. Normalement, l’enfant doit avoir, dès son bas âge, des relations significatives avec ses parents, être guidé, encadré, discipliné, recevoir l’affection et un soutien ferme et confiant pour ses accomplissements afin de façonner son identité, obtenir une confiance en lui et une estime de lui-même qui lui donne de la valeur.
On constate souvent chez les dépendants affectifs l’existence, dans l’enfance, de messages verbaux négatifs, entendant dire qu’ils valaient peu ou rien, qu’ils étaient incapables quand il faisait des choses, qu’ils n’iraient pas bien loin dans la vie, etc. On constate aussi souvent l’existence de messages non-verbaux négatifs comme, par exemple, la surprotection de la mère, la tyrannie d’un père violent et dictateur, la non-présence d’un père (absent de la maison), l’indifférence et la non-reconnaissance des parents vis-à-vis des réalisations de l’enfant, etc. Le dépendant affectif, dans ces circonstances, a écopé d’un manque d’autonomie, a souvent été abandonné, a subi l’alcoolisme ou la toxicomanie (demandez à un alcoolique si son père ou sa mère l’était, dans une grande majorité des cas, il répondra positivement).
Les psychologues constatent souvent combien les hommes ou les femmes, ont pensé aller chercher l’amour et l’affection dans la sexualité avec un conjoint, alors que, bien souvent, c’était l’amour de leur mère ou de leur père qu’ils recherchaient. L’enfant, n’ayant pas reçu cette sécurité affective étant jeune, il est fréquent qu’il veuille rechercher l’approbation et la revalorisation lorsqu’il devient adulte, afin d’établir des bases solides pour une estime de soi valable. N’ayant pas connu des relations interpersonnelles enrichissantes, mais surtout significatives, dans la période de l’enfance, l’individu cherche à connaître un(e) conjoint(e), un ami, qui saura l’admirer et lui révéler ses qualités et ses ressources personnelles cachées. Enfin, s’il ne réussit pas à se réaliser, l’individu pourrait compenser afin d’éviter d’entrer en contact avec sa souffrance. Il pourrait sombrer dans d’autres dépendances (ce qui est souvent constaté) telles l’alcoolisme, la toxicomanie mais aussi d’autres addictions comportementales telles la dépendance au travail, les achats compulsifs, la dépendance sexuelle ou la cyberdépendance, etc.
Le dépendant affectif se réalise à travers l’autre. Mais il y a un autre aspect à la dépendance affective et c’est celle de se sentir responsable du bonheur de l’autre. Il est fréquent d’entendre chez les sujets dépendants ou codépendants affectifs, dire ou vivre inconsciemment : « je vais tellement aimer mon conjoint, qu’il va arrêter de consommer à cause de moi, qu’il va changer son comportement ». Ces deux aspects de la dépendance affective ont pour but de chercher et retrouver une source de valorisation personnelle (ne serait-il pas extraordinaire de « sauver » l’autre ?), de justifier sa raison d’être à travers l’autre et donc d’atteindre le bien-être. Mais chez le dépendant affectif, tout cet exercice, tout ce déploiement d’énergie sont en place afin, souvent, de combler un vide intérieur. Il dépend donc de beaucoup de monde : amis, parents, conjoint, enfants et dévie de ses propres besoins à combler. Il abandonne ses intérêts personnels pour se centrer sur quelqu’un qu’il considère comme plus important que lui. Il va se plier au moindre désir de l’autre. Cela peut même aller jusqu’à devenir victime de manipulation et accepter l’inacceptable.
La dépendance affective, c'est, en bref, compter sur une autre personne pour se développer (affectivement, socialement, personnellement). N'exister que par l'autre. Compter sur l'autre pour son propre bonheur... À ce compte, on peut la comparer à toutes les autres addictions. Le « produit » consommé est alors humain, affectif, amical ou familial.
6) La dépendance sexuelle
« Out of the Shadow ou Sortir de l’Ombre » (P. Carnes, Out of the Shadow: Understanding Sexual Addictions, Minneapolis CompCare, 1983) : c’est sous ce titre que le psychiatre américain Patrick Carnes a publié le premier ouvrage relatant les souffrances liées à une addiction sexuelle. Au niveau médical et dans la littérature scientifique, c’est encore un américain, le psychiatre d’orientation psychanalytique Aviel Goodman , qui, après avoir proposé une définition générale des addictions (voir plus haut) a développé la notion de dépendance sexuelle, désormais reconnue comme une maladie en Amérique du Nord.
Pour Carnes, le concept de dépendance sexuelle entre dans la grande famille des addictions, au même titre que l’alcoolo- dépendance ou le jeu excessif. Ses recherches l’ont conduit à désigner une série de comportements révélateurs de cette pathologie :
- Idées obsédantes et masturbation compulsive à l’aide de films, de revues (et aujourd’hui, de sites internet) pornographiques. Recours fréquents aux services de prostitué(e)s ;
- Relations sexuelles anonymes avec de multiples partenaires :
- Aventures en série sans réel sentiment ;
- Fréquentation assidue de bars de danseuses, de studios de massages érotiques ou de librairies érotiques ou pornographiques ;
- Exhibitionnisme ;
- Voyeurisme ;
- Frotteurisme : c’est-à-dire propension à toucher la poitrine ou les organes génitaux d’une autre personne de manière à ce que l’acte paraisse accidentel, dans une foule, par exemple ;
- Pédophilie ;
- Viol ;
- Sadomasochisme.
(Voir également le Test de dépistage de l’addiction sexuelle de P Carnes en annexe)
Au niveau descriptif, l’addiction sexuelle est souvent distinguée des perversions du fait qu’elle n’implique pas une déviation dans le choix d’objet, ni même dans le mode des pratiques sexuelles, mais constitue plutôt un abus, un excès, une dépendance compulsive à l’acte sexuel. Dans le champ de la sexualité se pose la question des limites et des éventuels chevauchements entre conduites impulsives, compulsions et addictions. Aviel Goodman considère que les impulsions ont pour fonction la recherche du plaisir, les compulsions l’évitement de la souffrance, et les addictions les deux à la fois.
L’addiction commence de façon impulsive, par une recherche de plaisir immédiat, et peu à peu se développe de façon « autonome» plutôt qu’« égosyntone » (la conduite n’est ni recherchée ni vraiment agréable, mais échappe tout simplement au contrôle du sujet). En s’imposant au sujet, la conduite obligée devient l’objet de luttes intérieures, au même titre que les troubles compulsifs. L’addiction implique cette évolution, et en tant que mécanisme et processus elle n’exclut probablement pas les dimensions impulsives ou compulsives qui peuvent secondairement devenir les objets de l’addiction.
À ce stade, la sexualité n’est plus source de plaisir mais de souffrance : trait commun de tous les sex-addicts. Ils sont soumis à la peur du manque, deviennent, peu à peu, prisonniers d’un comportement qui rétrécit leur champ de pensée et leur vie quotidienne. Ils négligent de plus en plus leur famille, leurs amis, leur travail. Les contacts sexuels répétés, dénués de tout investissement affectif, finissent par les isoler de leur entourage. La culpabilité associée à cette conduite les incite à dissimuler à leurs proches ces pratiques, et la vie secrète, solitaire prend alors le pas sur la vie publique. Lorsque l’hyperactivité sexuelle s’intensifie, l’existence ne se résume plus qu’à l’assouvissement de ce besoin.
Le processus de l’addiction sexuelle
La notion de sexualité addictive est proposée depuis 1988 par les psychiatres nord-américains Reed et Blaine (R. C. Reed, D. A. Blaine, « Sexual Addictions », Holistic Nurs. Pract., 1988, 2, 4.), qui décrivent un processus en quatre phases, dans lesquelles se retrouvent des dimensions à la fois compulsives et impulsives :
1) Phase d’obsession, dans laquelle, en réponse à des difficultés existentielles, le sujet est totalement absorbé par des préoccupations sexuelles.
2) Phase de ritualisation, c’est-à-dire d’exécution des rituels qui précèdent le comportement sexuel.
3) Phase d’agir sexuel, qui entraîne un soulagement temporaire, donc provisoire.
4) Phase de désespoir, avec un sentiment d’impuissance à contrôler sa conduite.
Cette description peut à l’évidence s’appliquer à maintes conduites addictives, notamment aux phases classiques du jeu pathologique, et elle comporte l’élément essentiel à la définition de toute addiction : le fait que le sujet lutte sans succès pour mettre fin à une conduite dont il est à la fois l’auteur et la victime.
Le DSM IV propose un « trouble sexuel non spécifié » qui peut être considéré comme une version « officielle» de l’addiction au sexe. Toutefois, ce trouble n’est guère précisé, et aucune indication n’est donnée sur sa fréquence.
Cette catégorie est incluse pour coder une perturbation sexuelle qui ne remplit les critères d’aucun trouble sexuel spécifique et qui n’est ni une dysfonction sexuelle ni une paraphilie.
Par exemple :
1. Sentiments prononcés d’inadéquation par rapport à la performance sexuelle ou à d’autres traits liés aux représentations personnelles des normes de masculinité ou de féminité.
2. Désarroi provenant d’un mode de relations sexuelles répétitives impliquant une succession de partenaires sexuels que l’individu ne perçoit que comme des objets dont il se sert.
3. Souffrance marquée et persistante relative à l’orientation sexuelle.
Le fait que les partenaires soient considérés comme des objets plus ou moins interchangeables autorise le parallèle avec la dépendance à une expérience (expérience de la drogue, du jeu, des crises de boulimie…), dépendance dans laquelle la répétition viendrait ôter à la conduite tout sens que le sujet aurait pu initialement y chercher.
L’addiction ne concerne pas un type particulier de pratique sexuelle, et si elle peut concerner des conduites traditionnellement considérées comme perverses, elle s’inscrit surtout dans une pratique «anormale» de la relation sexuelle, qui devient le centre de l’existence du sujet et nuit à tout le reste de ses investissements, sans apporter de réelle satisfaction. Comme d’autres formes de dépendance, l’addiction sexuelle se construit par un processus au cours duquel on peut distinguer plusieurs étapes :
- L’expérimentation, l’usage festif, occasionnel, l’usage régulier précèdent généralement les usages à problème, mais ne constituent guère une raison de consulter.
- C’est lorsque cet usage devient une réponse à des difficultés existentielles que peut commencer à s’installer une problématique addictive, c’est-à-dire une dépendance qui va devenir source de souffrance. Il est à noter que l’on rencontre des sujets qui sont dépendants d’une forme de vagabondage sexuel sans que cela soit une cause de souffrance.
- Une fois la dépendance installée, ne pas pouvoir se passer d’un objet - ici la répétition des aventures et des pratiques sexuelles.
Durant un certain temps, des problèmes peuvent se poser sans que le sujet remette en question son besoin de « drogue » : à ce stade, c’est en quelque sorte à l’intérieur du problème lui-même que le sujet va chercher des solutions.
Le sex addict pourra avoir longtemps l’espoir de trouver dans la prochaine rencontre l’expérience ultime, celle qui déboucherait sur une relation durable ou qui assouvirait définitivement le besoin compulsif de relations sexuelles.
Plus tard, quand ces tentatives auront échoué, la personne va « toucher le fond » (« hit bottom » selon les termes des Alcooliques anonymes) et vouloir arrêter. C’est à ce moment-là qu’elle réalise à quel point arrêter est devenu difficile. Nous sommes alors, et alors seulement, dans le cadre d’une addiction avérée : le sujet a fait des efforts répétés mais infructueux pour mettre fin à sa dépendance.
Dans ce processus qui conduit à l’addiction, il existe donc des phases d’usage non addictif, quelles que soient les drogues ou les expériences. Puis deux phases qui concernent l’addiction en tant que telle : une phase « préclinique », pendant laquelle le sujet peut s’imaginer réussir à reprendre le contrôle de ses comportements sexuels, et une phase clinique, lorsqu’il a conscience de ne pouvoir changer seul et qu’il est en mesure de demander de l’aide. Il n’est légitime de parler d’addiction qu’à partir de ce dernier stade.
En France, la littérature médicale ou psychiatrique ne contient pas encore de description ou d’histoires de cas de dépendance sexuelle : cette maladie n’y est en effet pas répertoriée, et nombre de spécialistes estiment qu’elle n’est qu’une autre dénomination des perversions, sinon la simple manifestation d’un puritanisme anglo-saxon.
Pourtant, la pratique des psychothérapies montre que la répétition compulsive ou impulsive des aventures passagères, est extrêmement fréquent chez des sujets qui consultent par ailleurs pour des troubles dépressifs ou anxieux, voire pour des addictions plus classiques comme les TCA ou l’alcoolisme.
Dans leur ouvrage « Encore plus » (J. Adès, M. Lejoyeux, Encore plus, Paris, Odile Jacob, 2001), les psychiatres français Jean Adès et Michel Lejoyeux, constatant que l’addiction sexuelle n’est pour le moment formalisée que dans la littérature anglo-saxonne, reprennent un certain nombre de cas cliniques décrits par Aviel Goodman. Pour la plupart de sexe masculin, ces sujets sont envahis par des préoccupations sexuelles, et l’essentiel de leur temps est consacré à séduire et à passer à l’acte, au détriment de toute autre forme d’investissement familial, professionnel et social. Dans les moments où ils devraient travailler, se concentrer, ils ne pensent qu’à la façon dont ils vont réussir à « draguer » un(e) partenaire, comme si rien d’autre n’importait, et utilisent tout leur temps libre à satisfaire cette pulsion. Mais, dès l’acte sexuel accompli, à peine soulagés, ils sont en proie à l’insatisfaction, puis à la culpabilité, enfin à l’impérieux besoin de recommencer. Dans ces conduites, le partenaire est transformé en simple instrument d’une pratique qui s’apparente aux plaisirs solitaires. Le recours aux services de prostitué(e)s est ici fréquent, et certains patients se vivent comme dépendants de cette forme de « drogue ».
Les addictions sexuelles pourraient être conçues comme un phénomène à deux faces complémentaires : l’une de dépendance « pure », sinon physiologique, l’autre de transgression et de défi. D’un côté, dépendance, oubli de soi, désubjectivation, la recherche du plaisir cédant la place au besoin impérieux, et ce besoin primant sur toute autre forme d’investissement psychique ou social. De l’autre, tentative de (re)trouver le sens de son existence, de se confronter à l’énonciateur de la Loi (c’est le versant ordalique des toxicomanies et autres addictions) : le sujet va jusqu’à mettre sa vie en jeu, non pour disparaître, mais pour tenter de « compter à nouveau parmi les hommes », comme l’écrit Dostoïevski à propos du joueur. L’addiction sexuelle, si on l’aborde sous l’angle de la relation du sujet au plaisir, comporte bien ces deux dimensions: d’une part, à travers l’instauration d’un besoin, l’usure du plaisir lui-même, selon un schéma de « tolérance » ou de « processus opposants », d’autre part, escalade et quête de limites, dans une démarche où la volonté d’épanouissement s’abîme dans celle de « toucher le fond, de dépasser le cadre du licite ou du normal.
7) Le travail pathologique ou l’ergomanie (ou encore workaholisme)
La plupart des dépendances nous renvoient une image négative. Que ce soit à l'alcool, au jeu, à la nourriture ou au sexe, elles font l'objet d'incessantes recherches afin d'en trouver les causes et les traitements. La dépendance au travail fait exception à la règle. Encore aujourd'hui, les grands travailleurs sont perçus comme étant responsables, matures et vertueux. On croit volontiers qu'ils récoltent les promotions, gagnent beaucoup d'argent, sont respectés par leurs collègues de travail et par leurs supérieurs. La réalité semble pourtant tout autre. Le « workaholisme », décrit vers la fin des années ‘60 comme une relation pathologique d'un sujet à son travail, qui se caractérise par une compulsion à lui consacrer de plus en plus de temps et d'énergie, au détriment des autres aspects de sa vie, et qui persiste même si les conséquences sur la santé, la vie familiale et les relations sociales sont négatives, répond ainsi aux caractéristiques d'un trouble de dépendance. Une dépendance « propre », qui paraît bien et qui suscite souvent l'admiration, mais qui peut avoir des conséquences graves.
Aujourd'hui, alors qu'il apparaît comme le symbole de la liberté de chacun et comme l'instrument de l'affirmation de sa subjectivité, le travail ne permet pas toujours au sujet de se posséder soi-même : chez certains individus, le statut de « travailleur » englobe l'identité tout entière. Le perfectionnisme, le besoin de tout contrôler et l'hyperactivité dominent l'existence de certains individus jusqu'à l'impossibilité, pour eux, de se détacher de leur activité : s'arrêter équivaut presque à se perdre à l'intérieur d'un vide et d'un abîme auxquels ils ne sont pas capables de faire face, sauf à se laisser complètement engloutir. C'est à ce stade que l'on parle d'addiction au travail. Et cela, afin de souligner comment le travail, au lieu d'être au service de l'accomplissement de soi, peut devenir l'occasion et la cause d'un épuisement de soi.
Les experts s’entendent pour dire qu'il y a une différence entre le « gros travailleur » et le « workaholique ». Le gros travailleur prend tous les moyens nécessaires pour accomplir son travail. Il peut passer de longues heures sur un travail et faire des heures supplémentaires lorsque la situation l'exige, mais les buts et les délais sont clairement définis. Et surtout, lorsque le travail est accompli, il décroche facilement et il se garde du temps pour sa famille et ses amis. Le « workaholique » considère le travail comme le centre de son univers. Il y sacrifie le sommeil, la nourriture, l'exercice, la famille, les amis et les loisirs. Son obsession est telle que son bien-être physique et sa santé mentale en sont affectés. Guidé par la logique, il se prend au sérieux, se donne de hauts standards de performance et n’accepte pas facilement la faiblesse. Il lui est difficile de travailler en équipe, son agressivité et son peu de confiance dans les autres le portant à vouloir tout faire seul. Et lorsqu'un travail est terminé, il se sent déprimé ou anxieux.
Le workaholique vit un état de stress chronique qui peut mener à des problèmes sérieux de santé physique et mentale. Maux de tête et migraines, tension artérielle élevée (risque accru de maladies cardiovasculaires), douleurs musculaires, indigestion, constipation ou diarrhée, ulcères, fatigue chronique et insomnie sont souvent associés à la dépendance au travail. De plus, le stress affecte le système immunitaire, ce qui rend le workaholique plus susceptible de contracter d'autres maladies. Psychologiquement, les choses ne sont pas plus roses : l'anxiété, l'irritabilité, la tristesse, la colère, l'hypersensibilité, l'apathie, le désespoir, l'insécurité et la dépression sont souvent le lot des workaholiques, de même que certains troubles du comportement : augmentation ou perte d'appétit, agressivité, augmentation de la consommation d'alcool ou de drogues, tabagisme et isolement.
Les workaholiques ne sont pas les seuls à souffrir de leur condition. Leur famille en est la plupart du temps affectée. Les conjoints se sentent ignorés, ont une image négative de leur union et ne se sentent pas en contrôle de leur vie de couple. Certaines études démontrent que les disputes sont plus fréquentes dans un couple où l'un des deux conjoints est workaholique et que le taux de divorce est plus élevé. Le climat malsain créé par un workaholique autour de lui a souvent des répercussions chez les enfants, qui manifestent parfois un besoin élevé de contrôle et un perfectionnisme exagéré, ce qui peut les entraîner à adopter des comportements compulsifs et à devenir eux-mêmes workaholiques.
À première vue, il peut sembler profitable pour une organisation d'engager un workaholique. Cependant le workaholique crée une atmosphère de stress dans une équipe, ce qui peut miner le moral de ses collègues et les conduire même à l'épuisement professionnel. Le travail d'équipe avec un workaholique est difficile, parce qu'il a tendance a vouloir tout contrôler et à prendre tous les crédits pour lui. Il n’est pas non plus le plus efficace des employés. Sa manie de faire des listes, de tout vérifier et revérifier, son incapacité à déléguer ou à partager les tâches le poussent à faire un tas de choses inutiles et à en prendre trop. Lorsque la fatigue s’installe, la productivité du workaholique en souffre, et il est plus susceptible de commettre des erreurs de jugement.
L’addiction au travail peut être définie comme une relation pathologique d’un sujet à son travail, caractérisée par une compulsion à lui consacrer de plus en plus de temps et d’énergie et ce, en dépit des conséquences négatives sur sa santé et sur sa vie personnelle affective et familiale. Ce phénomène est décrit par les spécialistes comme la plus clean des addictions. La pression sociale fait de celle-ci un des meilleurs exemples d’addiction positive.
8) La cyberdépendance
La cyberdépendance ou cyberaddiction, fait partie des nouvelles toxicomanies sans drogue dont a parlé Otto Fenichel, plusieurs fois cité dans ces lignes. Cette forme relativement récente de dépendance (les premiers écrits datent de 1994), s’inscrit comme une addiction silencieuse. Elle englobe des formes de dépendance à l’ordinateur ou au PDA, à la sexualité sur Internet, aux achats compulsifs online, aux formes de communication synchrones et asynchrones par mail (le francophone linguistiquement correct emploi aussi le terme de « courriel » pour désigner le courrier électronique) ou dans les groupes de discussion (chats).
Les cyberdépendants sont des personnes qui dans leurs efforts de combler un vide identificatoire, se heurtent à des obstacles souvent imaginaires, à des combats qu’ils estiment perdus d’avance ou sans intérêt, situations qui vont engendrer inévitablement des frustrations, des phénomènes anxieux, des troubles du comportement. C’est à cause de la recherche d’un refuge, d’une échappatoire à la réalité, que cette tendance à s’extraire du contexte réel pourrait devenir l’une des motivations intimes des cyberdépendants. Le remplacement du réel par le virtuel est leur seule manière concevable de vivre.
L’avènement de ce nouveau monde virtuel, ne traduit pas simplement une crise profonde de la représentation, mais il touche à l’image de soi-même, modifie le sens de la finalité existentielle. Les représentations virtuelles amènent avec elles la contrainte de vivre - parfois de survivre - parmi les représentations de la réalité plutôt que dans la réalité elle-même. L’Internet, offre tous les attraits d’un monde lissé, parfaitement poli, idéalisé, d’un cadre de vie stable, protecteur. Pourtant, ce cadre de vie est en permanence, dans un mouvement entropique, source de dynamisme et de mobilisation.
L’activité quotidienne, communicationnelle, ludique, se déroule dans le cadre d’une communauté d’initiés, possédant leur propre bagage de connaissance, leur langage et les mêmes représentations du monde, leur trait commun étant cette nouvelle normalité virtuelle. Les échanges et les contacts sont habituellement réalisés par l’intermédiaire des groupes de paroles virtuelles ou dans un proche avenir, à l’aide des outils à fort potentiel virtuel, comme les gants, les combinaisons et les lunettes.
La personne cyberdépendante est souvent dans le déni. Lorsqu'on la confronte à cette réalité, elle peut devenir agressive. Une importante dimension psychologique est présente dans le phénomène de cyberdépendance. Ce comportement peut être classé dans la catégorie des troubles obsessionnels-compulsifs (TOC), à moins que l'on puisse, dans certains cas, l'associer à la catégorie des troubles du contrôle des impulsions. Dans ces TOC, on pourrait y inclure le cybersexe. D'autres cyberdépendants pourraient souffrir de techno- stress : plusieurs ordinateurs (à la maison, au travail, sans oublier le portable), le téléphone mobile, le smartphone, le PDA, le Blackberry, le GPS, le mail maintenant reçu dans le rétroviseur ou projeté sur le pare-brise de l'automobile, etc.
On peut décrire quelques traits de caractère des « cyberaddicts » :
- Immaturité socio-affective
- Vide identificatoire
- Frustration et incapacité de surmonter celle-ci
- Anxiété
- Troubles du comportement et dépendance affective
- Sentiment de non-valeur et de non- reconnaissance, basse estime de soi
- Sentiment d’isolement et caractère solitaire
- Vide émotionnel
Le phénomène d’appartenance groupale, est également un facteur de renforcement positif. Il existe une réelle connexion émotionnelle et fantasmatique entre les membres du groupe, qui recherchent en permanence un leader pour remplacer l’image paternelle ou simplement pour être déchargés de toute responsabilité. La place de leader est objet de convoitise, mais la force de celui-ci peut aller jusqu’à bannir les intrus qui mettraient en cause son statut. Le groupe contribue à la construction d’un imaginaire collectif, authentifiant les vérités virtuelles. Un exemple de ces refuges est celui des groupes gothiques, qui ont créé de véritables forteresses virtuelles, accessibles à travers des codes et des rites initiatiques, les célèbres underground Internet - undernet.
Le portrait type de la personne cyberdépendante a évolué depuis quelques années. Autrefois on pouvait reconnaître majoritairement des hommes âgés de 25 à 35 ans, scolarisés, financièrement capables de se doter d'un ordinateur assez dispendieux et qui passaient un nombre incalculable d'heures devant l'écran de leur appareil. Maintenant, il semble y avoir une certaine parité entre les hommes et les femmes. La démarche des deux sexes, vis-à-vis d'Internet et de son utilisation, est cependant très différente. Les hommes cyberdépendants recherchent beaucoup de site reliés à la pornographie, à l'érotisme, aux rencontres affectives avec un aboutissement dans la sexualité. Les femmes s'informent davantage et recherchent des relations vraies. De plus, les femmes sont déjà dans la mire des promoteurs du commerce électronique, l'achat compulsif étant souvent associé à cette catégorie de personnes. La dépendance affective et la compulsion dans le sexe semblent être les deux principaux moteurs qui nourrissent la cyberdépendance.
Ainsi la dépendance au Web apparaît plutôt comme une conduite polyaddictive à travers les comportements suivants :
- Les workaholiques ou les ergomanes (voir chap.xxx, p.xx) : pour une grande partie des internautes, le travail sur ordinateur, en connexion sur le Web, offre la possibilité d’accomplir et de rencontrer l’objet de leur dépendance. Ces travailleurs compulsifs privilégient le travail au détriment des loisirs et des relations interpersonnelles. Afin de garder les mêmes performances, la plupart des workaholiques recourent aux substances excitantes comme la cocaïne ou les amphétamines.
- Les cyberaddicts internautes, répondent aux critères d’inclusion du DSM IV dans la catégorie des joueurs pathologiques. Certains de leurs comportements présentent les même caractéristiques addictives : avidité, extrême plaisir tiré de l’acte, dépendance, répétition et surtout perte de contrôle.
Les jeux en réseau apparus depuis longtemps aux États-Unis, mêlant la fiction, la virtualité, le ludique, ont déjà créé des inconditionnels qui vivent dans cet espace, qui ne communiquent que dans le cadre de chats ou de forums qui leurs sont dédiés, leur mode de vie étant conditionné par le jeu qui les occupe la plupart du temps. Il en va de même pour les joueurs compulsifs : ils peuvent parier en utilisant les transactions électroniques, jouer sur Internet en se procurant des logiciels et des CD-Rom qu’ils sont anxieux d’acquérir dès leur arrivée chez les distributeurs quand ils ne les commandent pas au Canada où les versions francophones sortent souvent avant l’Europe.
- La Conversation Assistée par Ordinateur et l’addiction communicationnelle : elles s’expriment par de longues heures passées en connexion, l’image type des cyberdépendants étant celle de personnes qui ont des difficultés de communication, une notion spatio-temporelle altérée et qui cherchent sans cesse un moyen pour exprimer leur mal de vivre. Le courrier électronique (courriel, e-mail) est un autre aspect de l’addiction communicationnelle : le désir intense d’en recevoir, la déception quand on en a pas reçu. Le développement des Chats (comme Windows Live Messenger anciennement MSN Messenger), groupes de discussion en direct avec de multiples partenaires, montre cet engouement pour de nouveaux outils de communication et pour la richesse communicationnelle sans contrainte offerte par le Web.
La Sexualité Assistée par Ordinateur : pour le cybernaute présentant un comportement addictif sexuel, l’univers sans barrières et sans limites de l’Internet, lui offre le choix et la possibilité d’accéder à ses pulsions et à ses fantasmes les plus intimes. On parle alors de cybersexualité. Les sites qui permettent de converser attirent un bon nombre de gens à la recherche d'un moyen de communiquer. Quand ce n'est pas simplement des sites de rencontre comme le célèbre Meetic. Partout on peut discuter de banalités, de sujets sérieux...ou d'amour. Les internautes célibataires sont très friands de ces sites où ils espèrent rencontrer l'âme sœur. Un dommage collatéral à l’utilisation addictive de ses sites est le nombre croissant de mariages qui aboutissent à un divorce après la découverte d'une relation extraconjugale et/ou cybersexuelle.
En effet, Internet a des avantages à bien des égards pour les infidélités virtuelles et/ou cybersexuelles :
-. L'accès 24 heures sur 24 et de pratiquement partout grâce au WIFI ;
-. L'anonymat ;
- S'exprimer par écrit, livrer de la poésie amoureuse ou utiliser la webcam peut s'avérer plus facile qu'en personne ;
- Il est plus simple de parler de sujets délicats et de tabous ;
- Les rencontres peuvent devenir quotidiennes, de multiples fois par jour, et même passer du virtuel au réel ;
- L'attrait de l'inconnu ;
- On peut se forger un bonheur virtuel ;
- On peut croire aux bienfaits d'échanger avec un inconnu qui ne portera pas de jugement hâtif ou erroné sur nous ;
- On peut désirer combler un manque affectif ou mettre un peu de piquant dans une vie trop routinière.
On pense aussi aux sites dédiés à la pornographie, à l’érotisme et à la pédophilie, où les sexaddicts (ou sexoliques) peuvent s’adonner librement à leur comportement.
Les acheteurs ou dépensiers compulsifs : la place de ce comportement addictif dans la présentation de la cyberdépendance semble justifiée par le fait que l’Internet offre une facilité immense pour effectuer des achats, avec une composante nouvelle : l’achat en direct. Cela a engendré aux États-Unis un véritable fléau social, appelé buying spree – la frénésie d’acheter. Récemment on a vu apparaître une catégorie nouvelle d’acheteurs compulsifs, les day traders, qui s'adonnent aux transactions boursières électroniques, certains arrivant à accumuler des fortunes pendant la « bulle Internet » qui se sont ensuite évaporées dans l’explosion de la dite bulle, avec les mêmes conséquences négatives (remords, culpabilité, fraude, surendettement, vol) que le joueur excessif au casino.
Pour conclure, on peut citer quelques chiffres montrant les effets de la cyberdépendance. L’Agence France Presse citée dans la Revue de presse quotidienne de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) indique qu’en 2006, 3,8 millions de Français jouent en ligne ou sur console, dont 44% sont âgés de 13 à 24 ans. « Près de 6% des usagers d'Internet souffrent d'une façon ou d'une autre de dépendance à Internet. C'est ce que révèle une étude scientifique : des mariages sont brisés, des adolescents ont des problèmes d'échec scolaire, des gens commettent des gestes illégaux (cybercrimes) ou dépensent beaucoup trop d'argent dans les sites pornographiques, etc.» selon le Dr David Greenfield, psychologue américain et chercheur, auteur de l'étude.
©Olivier Kramarz, Coach Addictologue - Contact : coach.addictologue@gmail.com –Février 2007