Critères de détermination d’une addiction comportementale
Commençons par citer les principaux critères de dépendances communément retenus comme déterminants des addictions comportementales : le DSM IV (Diagnosis Statistical Manual, American Psychiatry Association, DSM, 4è éd. Edition française: Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, traduction de J. D. Guelfi, Masson, Paris, 1994.) les codes CIM-10 (Classification Internationale des maladies, 1996.) et enfin celle du psychiatre américain Aviel Goodman (A. Goodman, « Addiction, Definition and Implications», British Journal of Addictions, 1990). Enfin, Marie-Madeleine Jacquet et Alain Rigaud proposent un tableau qui compare les critères du DSM, de la CIM et les addictions communément identifiées en clinique (M. M. Jacquet et A. Rigaud, Émergence de la notion d’addiction. In: Le Poulichet (dir.) : Les addictions, Paris, PUF, 2000.).
A noter qu’il est question de critères de dépendance exclusivement à une substance dans le DSM IV et dans les codes CIM car à l’époque de la rédaction de ces derniers - même si, en France, avec le Plan Addiction annoncé en novembre 2006, ça commence à changer- les addictions comportementales ne sont pas considérées comme des maladies par la communauté scientifique internationale.
Dépendance à une substance (DSM IV)
Nota : Sont considérées comme des substances psychoactives : Alcool, Tabac, les drogues illicites (cannabis, cocaïne, héroïne, ecstasy, LSD, champignons hallucinogènes), les médicaments psychotropes et le dopage.
Mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative, caractérisé par la présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’une période continue de 12 mois :
- Tolérance, définie par l’un des symptômes suivants :
- Besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré.
- Effet notablement diminué en cas d’utilisation continue d’une même quantité de la substance.
- Sevrage caractérisé, par l’une ou l’autre des manifestations suivantes :
- Syndrome de sevrage caractéristique de la substance.
- La même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage.
- La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée que prévu.
- Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l’usage de la substance.
- Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance (par exemple, consultation de nombreux médecins ou déplacement sur de longues distances), à utiliser le produit ou à récupérer de ses effets.
- Des activités importantes, sociales, professionnelles ou de loisirs, sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de la substance.
- L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou exacerbé par la substance (par exemple poursuite de la prise de cocaïne bien que la personne admette une dépression liée à la cocaïne, ou poursuite de la prise de boissons alcoolisées bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait de la consommation d’alcool).
Syndrome de Dépendance (CIM 10)
Au moins trois des manifestations suivantes doivent habituellement avoir été présentes en même temps au cours de la dernière année :
- Désir puissant ou compulsif d’utiliser une substance psychoactive ;
- Difficultés à contrôler l’utilisation de la substance (début ou interruption de la consommation ou niveaux d’utilisation) ;
- Syndrome de sevrage physiologique quand le sujet diminue ou arrête la consommation d’une substance psychoactive, comme en témoignent la survenue d’un syndrome de sevrage caractéristique de la substance ou l’utilisation de la même substance (ou d’une substance apparentée) pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage ;
- Mise en évidence d’une tolérance aux effets de la substance psychoactive le sujet a besoin d’une quantité plus importante de la substance pour obtenir l’effet désiré. (Certains sujets dépendants de l’alcool ou des opiacés peuvent consommer des doses quotidiennes qui seraient létales ou incapacitantes chez les sujets non dépendants);
- Abandon progressif d’autres sources de plaisir et d’intérêts au profit de l’utilisation de la substance psychoactive, et augmentation du temps passé à se procurer la substance, la consommer, ou récupérer de ses effets ;
- Poursuite de la consommation de la substance malgré la survenue de conséquences manifestement nocives (par exemple, atteinte hépatique due à des excès alcooliques, épisode dépressif après une période de consommation importante ou altération du fonctionnement cognitif liée à la consommation d’une substance). On doit s’efforcer de préciser que le sujet était au courant, ou qu’il aurait dû être au courant, de la nature et de la gravité des conséquences nocives.
La définition des addictions selon Aviel Goodman (1990)
Nota : Le besoin de définir des critères non exclusivement liés à un objet précis d’addiction, mais excluant les simples habitudes, a conduit Aviel Goodman à proposer une définition regroupant des critères d’addiction comportementale et de dépendance à une substance.
S’ils sont aujourd’hui communément acceptés par la communauté addictologique, et souvent utilisés comme base de définition des addictions comportementales, force est de constater qu’ils ne sont pas encore reconnus de manière officielle. Il est actuellement question de remédier à cet état de fait dans la rédaction du futur DSM V dans lequel la catégorie des addictions au sens large devrait intégrer les manuels internationaux de classifications des maladies. Impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement.
- Sensation croissante de tension précédant immédiatement le début du comportement.
- Plaisir ou soulagement pendant sa durée.
- Sensation de perte de contrôle pendant le comportement.
- Présence d’au moins cinq des neuf critères suivants
- Préoccupation fréquente au sujet du comportement ou de sa préparation.
- Intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l’origine.
- Tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement.
- Temps important consacré à préparer les épisodes, à les entreprendre, ou à s’en remettre.
- Survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, familiales ou sociales.
- Activités sociales, professionnelles récréatives majeures sacrifiées du fait du comportement.
- Perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu’il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d’ordre social, financier, psychologique ou physique.
- Tolérance marquée : besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence pour obtenir l’effet désiré, ou diminution de l’effet procuré par un comportement de même intensité.
- Agitation ou irritabilité en cas d’impossibilité de s’adonner au comportement.
- Certains éléments du syndrome ont duré plus d’un mois ou se sont répétés pendant une période plus longue.
Tableau comparatif entre les addictions, selon les données cliniques, les classifications officielles (DSM IV, CIM) et les critères d’Aviel Goodman
Plusieurs classifications des théories de la toxicomanie ont été publiées ; le NIDA (National Institute of Drug Abuse) à Washington en recense plus de quarante. Les discours sur les addictions ont beaucoup varié au cours des deux derniers siècles, et le terme d’addiction est d’usage récent en langue française. Selon Pedinielli, ce terme doit d’abord être compris comme une notion descriptive qui désigne un champ : celui des conduites caractérisées par des actes répétés dans lesquels prédomine la dépendance à une situation ou à un objet matériel, qui est recherché et consommé avec avidité.”
Le champ d’application des addictions s’avère donc particulièrement large et même ouvert : alcoolisme, toxicomanie, dépendance médicamenteuse, anorexie mentale, boulimie, conduites d’achats pathologiques, dépendance sexuelle, jeu pathologique, tabagisme, tentatives de suicide à répétition, dépendance au travail, dépendance sectaire, etc. Cette liste n’étant évidemment pas exhaustive, il ne fait aucun doute que de prochaines publications viendront notifier de nouvelles conduites pathologiques qui pourront être reliées au concept d’addiction : cela représente tout son intérêt, mais aussi probablement ses limites. Dans cette perspective, classer, quantifier, dénombrer offre peu d’intérêt ; ce qui est pertinent, c’est étudier la relation d’un sujet à son « objet d’addiction » : que celui-ci soit réel, symbolique ou imaginaire n’a finalement guère d’importance, puisque les mécanismes fondamentaux de la relation à ces objets peuvent être considérés comme équivalents. Ce nouveau concept amène indiscutablement à de stimulantes révisions, notamment dans le cadre un peu figé de l’alcoolisme et des toxicomanies : au lieu de focaliser l’attention sur la nature des produits, il permet de se recentrer sur la problématique de ceux qui s’y adonnent.
Olivier Kramarz