Approche historique de l’addiction comportementale

C’est vers la fin du XVIIIème siècle que l’on commence à parler de maladie pour définir des conduites comme l’ivrognerie ou le jeu. En 1785, Benjamin Rush écrit ce qui reste comme un des textes fondateurs dans la recherche d’une définition de l’addiction An inquiry into the effects of ardent spirits upon the human body and mind. (B. Rush, An inquiry into the effects of ardent spirits upon the human body and mind. In : Y. HENDERSON - A new deal in liquor a plea for dilution p.185-228. New York: Doubleday, Doran & Company, Inc, 1935. Reprinting, 1814.). Viennent ensuite les travaux de Morel qui vont faire rentrer les alcooliques et les addicts dans la catégorie des malades tout en les conservant dans celle des pervers et des vicieux ce qui autorise la société à les traiter aussi durement que des criminels.
On estime aujourd’hui que les addictions comportementales, avec leur éventail d’expression d’évitement et de refoulement des névroses, ont incité les scientifiques à repenser leur façon de voir la souffrance psychique et qu’elles sont probablement à l’origine des travaux qui ont conduit à l’invention de la psychanalyse et de l’inconscient.
En effet, c’est de l’intérieur de la psychanalyse que provient la notion de toxicomanies sans drogue, introduite par Otto Fenichel en 1945 dans sa Théorie psychanalytique des névroses. (O. FENICHEL, avant-propos M. Fain, Trad. de l’anglais M. Fain et al. La théorie psychanalytique des névroses. Tome 1 : Introduction. Le développement mental, Les névroses traumatiques et les psychonévroses. Paris : PUF, 1979 (3 éd.), 392 p. (Coll. Bibliothèque de psychanalyse). Trad. de The psychoanalytic theory of neurosis (1945), 1979.).
On retrouve également dans les travaux de Fenichel, l’origine du découpage actuel de la classification des addictions notamment lorsqu’il énonce les différences entre les troubles impulsifs plus communément appelés aujourd’hui des compulsions incluant les dépendances à une substance, les perversions sexuelles, le jeu pathologique, et quelques troubles comme la pyromanie, la kleptomanie, la trichotillomanie et les obsessions qui envahissent l’esprit d’une personne qui tente d’y résister.

Importante à noter aussi l’influence du psychanalyste Edward Glover, qui, dès 1932 écrivait : Il n’y a maintenant plus de doute que les effets pharmacologiques des drogues n’ont pas, dans les addictions dangereuses, une part aussi spécifique qu’on peut le supposer dans les cercles extérieurs à la psychologie. Dans certains cas d’addiction, où un substitut inoffensif était choisi (dans un cas le sucre était utilisé en ce sens), j’ai observé que la même compulsion servile s’attachait au substitut et que la privation du substitut libérait des charges massives d’angoisse. (E. GLOVER, A psychoanalytic approach to the classification of mental disorders, J. of. Mental science, 161-186. 1932. Cité dans Ecrits psychanalytiques classiques sur les toxicomanies. dir. J.L. Chassaing, Editions de l’Association freudienne internationale, Paris, 1998.).

Parmi les auteurs ayant le plus participé à l’élargissement des toxicomanies avec produits psychoactifs aux addictions comportementales, sont les psychosociologues Stanton Peele et Archie Brodsky (S. Peele, A. Brodsky, Love and addiction. New-York, NY : Taplinger, 1975. -284 p., 1975. S. Peele, Love and Addiction, A General Theory of Addiction, www.peele.net/lib/laa3.html) tentèrent de démontrer l’équivalence (et non la simple ressemblance) entre certaines formes de relations amoureuses et la toxicomanie.

Selon eux, c’est d’une expérience que certains sujets deviennent dépendants, et non d’une substance. Le caractère agréable de la première expérience n’est pas, du point de vue de l’addict, ce qui est le plus important. La plupart du temps d’ailleurs, il ne s’en souvient même pas. La répétition du comportement addictif servirait plutôt à éviter les émotions et les ressentis vécus lors de situations pénibles ou désagréables, en substituant à l’inconnu des relations interpersonnelles le déroulement prévisible d’une séquence comportementale maintes fois vécue et qui, de ce fait, rassure. Combien de fois ai-je entendu des addicts me citer la phrase de Frederich Nietzsche : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », comme pour se donner une espèce de justification à la répétition de leurs comportements mais aussi pour se rassurer.

 

Approches théoriques de l’addiction comportementale

 

Le modèle Minnesota

Le modèle Minnesota approche la problématique de l'addiction comportementale en tant que maladie (Spicer, 1993; McCrady, 1994; Jellinek, 1960), dont les symptômes sont la perte de contrôle, la dépendance psychique et physique. L'aspect primordial du traitement est centrée sur les mécanismes de la dépendance, et non la cause ou la pathologie sous-jacente (Marron, 1993 ; Talbott, 1990). Wallace (1996) souligne l'importance de déterminer des priorités lors du traitement de l’addiction, et considère que l'abstinence constitue la base fondamentale pour la continuation du traitement. Comme dans la psychoanalyse, la dénégation et la résistance sont mises à jour, sans toutefois en rechercher les causes (au contraire de l'analyse). Après un certain temps d'ailleurs, l'attitude vis-à-vis du produit d’addiction ou du comportement addictif acquiert une autonomie fonctionnelle (Spicer, 1993).
Dans la mesure où elle est approchée comme une maladie chronique, des buts thérapeutiques sont assignés à la problématique de la dépendance, en termes de réhabilitation (ou rétablissement) bien plus que de guérison (Spicer, 1993). La relation patient-accompagnant (ou councellor et depuis très récemment des Addictions coach font leur apparition) est un rapport de collaboration, qui vise un changement de style de vie. En vue du but à long terme à atteindre - apprendre à vivre avec la dépendance - la famille et l'entourage du patient sont associés au traitement (Galanter, 1993). Cette problématique chronique implique également une vigilance à vie et le maintien de l'abstinence.
La théorie du Modèle Minnesota est que la dépendance est une maladie physique, mentale et spirituelle (Spicer, 1993; Mc Crady, 1994). Ce point de vue holistique débouche sur une approche multidisciplinaire. A côté des problèmes physiques et psychiques, le Modèle Minnesota souligne également une dimension spirituelle, sans s’inscrire dans une philosophie religieuse particulière. Cette dimension aborde au contraire la question du sens comme composante essentielle de la lutte contre la dépendance. L'expérience extrême ou l'expérience émotionnelle forte sont centrales à cet égard, comme on l’a vu précédemment avec Maslow (1970). Dans le cadre de la problématique de la dépendance, la question de la dimension existentielle de l'existence (c'est-à-dire la confrontation avec les vulnérabilités et les limitations) et de la problématique du sens (goal setting) se fait jour (Fowler, 1993).
Malgré certaines critiques à l'égard de l'approche médicale de la dépendance (Fingarette, 1988; Peele, 1989), les praticiens du Modèle Minnesota citent des arguments empiriques pour défendre ce point de vue. La recherche fournit également une évidence suffisante des 4 critères de Lewis (Research update (Aug. 1998), Addiction : A disease defined. Center City. MN : Butler Center for research and learning).

Critères :

1) une maladie a une origine biologique,
2) des symptômes identifiables,
3) un déroulement prévisible,
4) la force de volonté du malade n'est pas à l'origine de la maladie et n'exerce pas d'influence sur elle.

Pour le critère 2, des symptômes tels que des phénomènes d’évitement et le craving fournissent l'évidence recherchée. En ce qui concerne le 4ème critère, la perte de contrôle de la personne addict vaut évidence. C'est ici que se situe la différence entre l'abus et la dépendance, la force de volonté pouvant encore intervenir en cas d'abus.
Cela dispense le patient de sentiments de culpabilité immobilisante, constitue un argument en faveur d'une abstinence à vie (Wallace, 1996) et modifie l'attitude de la famille et de l'entourage. Ce concept fait également appel au sentiment de responsabilité de la personne dépendante en mettant l'accent sur l'implication active lors du traitement et la nécessité d'un changement réfléchi de style de vie (Spicer, 1993; Hill dans Cook, 1988).

Théorisation psychanalytique

La brève passion de Freud pour la cocaïne, ses publications sur ce « médicament » qu’il présenta de façon dithyrambique, son tabagisme chronique ne conduisirent pas le fondateur de la psychanalyse à mener une étude systématisée de psychopathologie de l’addict comportemental.. C’est à S. Rado que l’on doit une première théorisation en ce domaine ; le postulat en est le suivant : c’est le désir qui fait d’un individu donné un addict. Le Moi retrouve son état narcissique originaire lié à l’accomplissement de désirs magiques et à l’omnipotence. Glover, Fenichel et Rosenfeld (1945) élaboreront à leur tour des théories décrivant la polyvalence fonctionnelle de l’objet d’addiction. Comme le relate Anna Freud, les psychanalystes sont en permanence déçus par les états addictifs ; les concepts qu’ils développent à leur propos rendent essentiellement compte de leurs préoccupations de recherche, et non d’une clinique spécifique.
Les cliniciens retrouvent des caractéristiques communes chez la plupart des addicts. La dimension dépressive se traduit par un sentiment de vide, une absence de pensée, un manque de défense contre les affects. Le comportement procure souvent, en maintenant magiquement l’auto-érotisme, une période d’euphorie de courte durée. L’addiction représenterait une tentative de défense et de régulation contre les déficiences et les failles narcissiques du sujet. Pour beaucoup d’auteurs, l’addiction n’est ni une névrose, ni une psychose, ni une perversion, mais « un état transitionnel » selon Glover, « une pathologie narcissique » selon Wurmser et en fonction des terminologies adoptées.
Retenons également le modèle de Joyce Mc Dougall (1978, 1982, 1996) dans lequel l’esclavage n’est pas la visée originelle du sujet. Pour Mc Dougall, l’objet d’addiction est investi de qualités bénéfiques et d’amour, l’addict va trouver dans l’addiction une forme d’économie psychique. Les origines e la dépendance sont à chercher dans un défaut dans la conduite maternelle. Enfin, les objets addictifs sont transitoires plutôt que transitionnels (tentatives d’ordre somatique).

Théorisation psychosociale de Stanton Peele (1985)

Stanton Peele (dont on peut trouver les thèses sur Internet sur « The Stanton Peele Addiction Website, http://www.peele.net/index.html) a élaboré une théorie psychosociale de la dépendance ; pour lui, une théorie de l’addiction, de la dépendance doit pouvoir expliquer les phénomènes suivants :
- l’éventail des comportements pouvant provoquer une véritable dépendance ;
- pour un comportement donné, les variations de son pouvoir addictif, d’une culture à l’autre, et d’un individu à l’autre au sein d’une même culture ;
- l’impact des groupes et autres facteurs sociaux à la fois sur l’usage compulsif d’un comportement, et sur le fait d’en abandonner l’usage ;
- les événements qui, dans le déroulement de la vie d’un individu, modifient sa tendance à devenir dépendant d’un comportement.

Cette théorie prend en considération toutes les variables qui interviennent dans le fonctionnement de l’être humain : facteurs biologiques, personnalité, environnement physique et social, contextes culturel et politique. Pour Stanton Peele, les concepts clés permettant de conceptualiser ces variables et leurs interactions sont l’expérience qu’un individu retient d’un comportement, et la manière dont cette expérience s’insère dans sa vie.
De plus, on sait que les addicts sont très sensibles à l’environnement et au contexte socioculturel qui façonnent le vécu de la première rencontre avec un comportement.
Dans la théorie de Stanton Peele, l’expérience analgésique émotionnelle - comprise comme la suppression des douleurs à la fois physiques et psychiques - occupe une place centrale. L’auteur constate que tout comportement qui remplit un rôle d’analgésique émotionnel est susceptible d’entraîner une dépendance. C’est le soulagement de la douleur qui conduit le sujet à répéter l’expérience, puisque sous l’influence de conduites aux conséquences connues et prévisibles, il se désintéresse des sources de son angoisse.
Stanton Peele insiste également sur le fait que les réactions des individus face à un même contexte varient considérablement. Telle situation stressante pour l’un sera stimulante pour l’autre. Le fait d’avoir recours à la « défonce par un comportement » majore la culpabilité du sujet, réduit son estime de lui-même, et devient un facteur d’engagement dans la dépendance. Selon Peele, le manque apparaît dans le cycle de la dépendance lorsque ce processus se développe au point que l’expérience analgésique émotionnelle est devenue pour le sujet la source majeure, quasi unique, de gratification.
La singulière combinaison qui caractérise l’addiction se compose à la fois d’éléments relevant de la dépendance (satisfaction du besoin, motivation par renforcement positif) et d’éléments relevant de la compulsion (fuite ou évitement du malaise interne, motivation par renforcement négatif).

Les auteurs anglo-saxons ont ainsi établi une théorie générale de la dépendance, prenant en compte des conduites qui n’impliquent pas l’usage d’une drogue, tout en produisant les mêmes effets.

Théorie « existentielle »

George Greaves propose une théorie existentielle de la dépendance : la principale motivation des êtres humains résiderait dans la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et dans la réalisation de ces aspirations profondes (Maslow, 1954). Lorsque l’individu peut satisfaire ses besoins et aspirations, il en résulte un sentiment de plénitude, de bien-être.
Les états altérés de conscience servent à l’organisme de mécanisme d’adaptation ; selon Greaves, certains adolescents ou adultes seraient moins aptes à accéder à de tels états altérés de conscience, en raison de processus pathologiques comme l’anxiété.
Sur le plan thérapeutique, les conclusions de Greaves sont claires : si l’on veut réduire le nombre et l’intensité des états de dépendance, il faut d’une part sensibiliser l’addict à d’autres sources de gratification psychosensorielle, et d’autre part réduire de façon préventive le niveau d’anxiété des sujets à risque.

Théorie de la recherche de sensations

Depuis les années soixante, le psychiatre américain Marvin Zuckerman a développé la notion de recherche de sensations et tend à en faire un trait de caractère, lié à des différences biologiques entre les individus.
L’échelle de recherche de sensations (Sensation seeking scale, adaptée en France par D. Widlocher) est un questionnaire qui se décompose en quatre dimensions :
- recherche de danger et d’aventure ;
- recherche de nouveauté ;
- désinhibition ;
- susceptibilité à l’ennui.
Si cette échelle peut permettre de différencier les typologies de chercheurs de sensations fortes, elle vise surtout à mettre en évidence l’opposition entre de « grands » chercheurs de sensations (high sensation seekers ou HS) et des individus qui au contraire les évitent (low sensation seekers ou LS): en cela, cette notion peut être rapprochée des travaux de Hans Jurgen Eysenk, dont le questionnaire de personnalité (EPI) oppose introversion et extraversion.

L’intérêt pour la recherche de sensations peut être mis en parallèle avec l’évolution du regard psychiatrique au cours du XXème siècle: aux pathologies de l’excès de retenue, de maintien, caractéristiques d’une société victorienne et marquées par le refoulement et la névrose, succèdent des pathologies de l’agir, de la prise de risque, de la démesure dans la quête de plaisir, comme les diverses addictions, les tentatives de suicide, la psychopathie (ou les troubles antisociaux), les phénomènes de bandes d’adolescents, etc. Il n’est donc guère étonnant que les grands chercheurs de sensations soient surreprésentés parmi les sujets impulsifs, joueurs ou autres addicts comportementaux. Ce « trait de caractère », plus répandu chez l’homme que chez la femme, est aussi plus marqué chez l’adolescent et le jeune adulte, comme les pathologies dont il augmente la fréquence.

En matière d’addictions, remarquons, avec J.-L. Pedinielli (1997), que la recherche de sensations est un élément important de la pratique du jeu pathologique ; au contraire, certaines addictions comportementales comme les troubles des conduites alimentaires (qui touchent d’ailleurs davantage les femmes) pourraient être interprétées comme un évitement de la nouveauté ou de l’aventure.

Selon Zuckerman, la recherche de sensations serait liée au besoin de maintenir ou d’atteindre un certain niveau d’activité cérébrale. Les différences entre individus proviendraient de différences dans le seuil d’activation : pour obtenir une sensation équivalente, certains doivent recourir à plus de stimulations que les autres. (Il convient donc de parler de recherche de stimulation, autant que de sensation.)

Ces travaux sont donc souvent reliés aux approches biologiques; les bases de ces différences devraient être recherchées au niveau neurophysiologique: aux variations hormonales s’ajoutent des variations des taux d’endorphines, de monoamines, et du système dopaminergique. Les variantes individuelles dans la recherche de stimulations diverses tiendrait ultimement, selon Zuckerman, à la génétique.

Proche de cette notion de recherche de sensation, la « recherche de nouveauté » est l’une des dimensions proposées par Cloninger dans le cadre de son modèle psychobiologique de personnalité. Selon cet auteur, le tempérament, défini génétiquement, doit être exploré suivant quatre axes : recherche de nouveauté, évitement du danger, dépendance à la récompense et persévérance ou persistance (Lépine et coll., 1998).

Théorie liée au concept d’alexithymie

Lors de la neuvième conférence européenne de psychosomatique à Vienne, en 1972, Sifneos propose le terme d’alexithymie pour désigner le fonctionnement de nombreux patients sous forme d’affections organiques chroniques à fortes composantes psychosomatiques. Étymologiquement dérivé du grec, ce terme renvoie à l’absence de mots pour exprimer des émotions ; Sifneos présente ainsi son concept: « une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat une forme de pensée utilitaire, une tendance à utiliser l’action pour éviter les conflits et les situations stressantes, une restriction marquée dans l’expression des émotions et particulièrement une difficulté à trouver les mots pour décrire ses sentiments ». L’alexithymie consiste en « une inhabilité à pouvoir faire des connexions entre les émotions et les idées, les pensées, les fantasmes, qui en général les accompagnent ».

Sifneos a donné une description des signes retrouvés chez les alexithymiques, qui les discriminent cliniquement des névrosés mais dont on retrouvent souvent la trace chez les addicts comportementaux :
- plaintes : description sans fin de symptômes physiques parfois sans relation avec une maladie physique sous-jacente ;
- autres plaintes: tension, instabilité, frustration, douleurs, ennui, sentiment de vide, agitation, fébrilité, nervosité ;
- contenu de pensée : absence frappante de fantasmes et description élaborée de détails triviaux de l’environnement ;
- langage : difficulté dans la recherche des mots appropriés pour décrire des sentiments;
- pleurs : rares; parfois ils pleurent abondamment mais leurs larmes ne semblent pas liées à un sentiment approprié comme la tristesse ou la colère;
- rêves et fantasmes : rares. Le sujet alexithymique rêve (de même qu’il ressent des émotions), mais il ne réussi pas à verbaliser ses rêves ;
- affects : inappropriés ;
- activités : tendance à l’action impulsive, l’agir semble un mode de vie prédominant ;
- relations interpersonnelles : étonnamment pauvres et tendance à la dépendance ou préférence pour la solitude;
- personnalité narcissique, dépendante, passive et agressive, antisociale ;
- posture : rigide ;
- contre-transfert : le thérapeute est finalement plongé dans l’ennui par le patient qu’il trouve terriblement « lourd ».

Dès 1973, Sifneos fait part de son impression clinique : la caractéristique psychologique qu’il décrit se retrouve également chez certains addicts. De nombreuses études constatent qu’il existe une forte corrélation entre alexithymie et consommation d’alcool ; deux formes d’alcoolisme sont particulièrement examinées : l’intoxication majeure aiguë et l’intoxication chronique sévère. Dans les deux cas, elles sont majoritairement représentées dans le groupe des individus fortement alexithymiques.
Dans un article (2006), Céline Jouanne, Addictologue, note que : « Les conduites addictives peuvent être envisagées comme des troubles développementaux de la régulation émotionnelle. Les sujets alexithymiques qui manquent d’un sentiment de cohésion de soi et de capacités à réguler leurs affects de façon autonome sont en difficultés pour gérer les séparations et peuvent alors être amenés à établir des relations de dépendance plus ou moins symbiotiques avec des personnes extérieures jouant le rôle de régulateurs ou encore avec des objets addictifs.
Certains symptômes observés chez les sujets alexithymiques visant à réguler le désarroi émotionnel et à soulager l’angoisse et le sentiment de vide que vivent ces patients par une intense stimulation sensorielle, peuvent devenir des conduites autour desquelles se réorganisent la vie et la personnalité du sujet.(…)L'objet addictif quel qu’il soit, remplace, grâce à sa disponibilité immédiate, la dépendance à un objet humain par une dépendance à un objet extérieur (Jeammet, 1989). Il constitue ainsi une défense contre une dépendance affective perçue par le sujet comme une menace pour son identité et que le sujet tente de combattre en introduisant entre lui et ses possibles attachements des objets substitutifs qu’il pense pouvoir maîtriser. Dans l’économie psychique du sujet, ces conduites addictives représentent une fonction de contrôle de la distance relationnelle mais le verrouillage psychologique, biologique et social qu’ils induisent contribue à placer l’individu dans un équilibre toujours plus précaire et dont il a de moins en moins la maîtrise. L’objet d’addiction aurait un rôle de pare-excitation des affects traumatiques dans le sens où il permettrait de colmater des angoisses non représentables par le psychisme. La conduite addictive constituerait un aménagement défensif compensateur du fait de la faiblesse des mécanismes de défense et de l’incapacité du moi à réguler et moduler les émotions.(…) L’alexithymie serait assimilable à un mécanisme de défense, protégeant le sujet contre le perçu et le vécu émotionnel dans des situations de vulnérabilité, et aurait son origine dans des troubles du développement psychologique et cognitif. ».

Bref résumé d’autres théories

Les addictions selon Ph. Jeammet (1989) :
- Relation entre l’impossibilité d’une relation à l’objet libidinal et la tentative de maîtrise d’un externe
- Pas de sentiment de sécurité intérieure
- Emotions = brèche ouverte dans le Moi par laquelle les sujets redoutent que l’objet fasse intrusion (perte de l’autonomie et de l’identité)
- Evitement du processus d’intériorisation car trouble des assises narcissiques.

Modèle de l’ordalie (Ch. Nicolas et M. Valleur, 1981, 1982)
- Ordalie = pratiques anciennes, judiciaires
- Conduites ordaliques = comportement répété de mise à l’épreuve, de prise de risque visant une régénération par confrontation à la mort.
- Comme l’incorporation, insuffisante pour fonder le sujet et nécessite d’être répétée
- Overdoses, cascades, sports violents…

Théorie de Ph. Gutton : les « pratiques de l’incorporation » (1984)
- Incorporation est différente de l’introjection (Torok et Abraham)
- « Acting out », avec 4 temps successifs : ennui (manque), addiction elle-même (rapport entre un orifice corporel et un objet extérieur.), fin de l’acte (vacuité représentative), retour de l’activité fantasmatique œdipienne (remords, honte…)

©Olivier Kramarz, Coach Addictologue - Contact : coach.addictologue@gmail.com – février 2007