La première caractéristique qui apparaît quand on cherche à déterminer si une personne est addict, c’est la souffrance. « Ca fait mal, j’en souffre, je n’en peux plus… » sont des expressions courante chez l’addict comportemental.
C’est une personne dont l’existence entière est tournée vers la recherche des effets produits sur son corps et son esprit par un acte qu’elle faisait hier couramment (jouer, manger, faire l’amour, surfer sur un ordinateur, acheter, travailler, faire du sport), sous peine d’éprouver un intense mal-être psychologique et/ou physique.
On est addict à un comportement dès lors que ce dernier envahit toute la vie de la personne, jusqu’à l’empêcher de vivre, jusqu’à lui « pourrir la vie ».
Donc un addict est une personne qui souffre. Mais quand on dit ça, on peut se demander tout de suite de quoi souffre cette personne ? Elle n’a pas de plaies dans les bras, elle n’est pas jaune de teint ni ne tousse comme un diésel. Elle n’a pas « l’air mal » ! Un des problèmes en matière d’addiction comportementale, c’est que ça ne se voit pas, ça ne sent souvent rien. On parlerait presque d’addictions des gens biens-portants !
Il apparaît qu’une des premières causes consciente de souffrance pour un addict, c’est son incapacité à gérer son émotivité. Combien de fois entend-on la phrase : « je suis malade de mes émotions » ?
L’addict va donc s’aider à gérer son émotion en utilisant le comportement addictif pour éviter ou reproduire une émotion, souvent les deux. Si l’émotion est positive, comme la joie, l’espoir ou l’extase orgasmique, l’addict va chercher à la reproduire pour en obtenir les effets euphorisants encore et encore. A l’inverse, si l’émotion est désagréable, comme la honte ou la tristesse, il va utiliser le comportement pour anesthésier la douleur ressentie, pour la fuir, pour détourner son attention de ce ressenti et tenter de remplacer cette émotion négative par une autre plus agréable.. On sait aujourd’hui que le système dopaminergique mésolimbique du cerveau, le système dit « de la récompense » est constitué de récepteurs qui enregistrent le niveau de plaisir reçu et qui réclament que ce niveau soit de nouveau atteint pour que la personne se « sente » bien. Si l’émotion est négative comme l’anxiété ou la honte, l’addict va utiliser le comportement
Le cerveau réclame de l’émotion (du plaisir) mais aussi de la tranquillité : il obtient l’un et/ou l’autre en prenant « une dose », de la nourriture en grande quantité dans un temps très court, ou en se plongeant dans le jeu ou le sport intensif. Il recommence « juste pour être bien ». Quelques temps après, il continue, mais cette fois « juste pour ne pas être mal » : pour pouvoir dormir, travailler, parler aux autres, calmer ses nerfs et même sa pensée car tout cela est devenu impossible sans répétition du comportement. L’addict  n’active plus son comportement addictif pour les mêmes raisons qui l’ont poussé à le faire lorsqu’il n’était qu’au stade du simple usage. L’usage et l’abus l’aidaient à mieux vivre, l’addiction l’aide à survivre.
Les addictions comportementales regroupent plusieurs formes de dépendances :
la cyberdépendance, l’hyperactivité sexuelle ou la dépendance affective, le jeu pathologique, le workaholism (dépendance au travail), le sport extrême ou intensif, les troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie, hyperphagie compulsive) mais aussi des dépendances « mineures » au café, au chocolat, au téléphone portable et plus récemment une journaliste me disait qu’elle avait autour d’elle des personnes qui lui paraissaient accrocs à la chirurgie esthétique. On voit même apparaître des cas d’addiction au perfectionnisme ou à la détresse (A. Katherine, MA, Addicted to Misery: When Being Happy Hurts in Counselor, The Magazine for Addiction Professionals, v.5, n.3, pp. 14-21, 2004)
Mais qu’on ne s’y trompe pas, les addictions comportementales sont tout aussi dangereuses que les dépendances avec produits. On constate ainsi l’inquiétante augmentation ces dernières décennies de la mortalité des jeunes femmes anorexiques ou des quinquagénaires boulimiques dans les pays industrialisés.
Cela dit, quelle que soit l’addiction, le mécanisme qui mène un usager occasionnel à la dépendance reste toujours le même.
Tout commence par l’usage. L’usage simple, curieux ou convivial, et sans aucune nocivité. Que celui qui n’a jamais poussé la porte d’un casino pour tenter sa chance à la boule, à la roulette ou aux machines à sous jette la première pierre ! L’usager découvre de nouvelles émotions... c’est sympa, ça détend, ça fait penser à autre chose…Tout le monde a ressenti, un jour ou l’autre — et plus particulièrement au moment de l’adolescence — le besoin de connaître de nouvelles expériences pour satisfaire notre curiosité, nous distraire ou pour imiter nos aînés. La plupart du temps, nous nous en tenons là, sans la menace d’une éventuelle répétition ou « escalade ». Mais attention, le premier usage, s’il est perçu comme bénéfique, donne envie de recommencer. Nous savons, par exemple, que les premières palpitations d’un joueur en herbe sont inoubliables. Il existe un état d’excitation intense lié, au fait que ce dernier ne sait jamais à l’avance s’il va perdre ou gagner. Le doute, le hasard, la chance et même ce qu’il nommera « la scoumoune » vont l’exciter intensément. S’il gagne, il aura forcément envie de recommencer pour gagner encore et s’il perd, il voudra rejouer pour « se refaire ».
Dans la grande majorité des cas, ces « premières fois » ne génèrent aucun trouble du comportement, ce qui ne signifie pas aucun risque. Car, après l’usage fun et décontractant vient le deuxième sous-sol : l’abus ou l’usage nocif. Ce passage intervient généralement une fois que le cerveau a enregistré les conséquences (généralement perçues comme utiles et positives par l’addict) de son comportement addictif. Une peur de l’ennui ou de la solitude estompée grâce à quelques heures au casino, une humeur sombre ou mélancolique rendue meilleure au contact d’un écran de jeu vidéo en connexion avec la planète entière. Tout cela constitue des émotions que notre cerveau nous traduit comme une « sortie de sa tronche », donc une solution facile et rapide à tous nos problèmes de vie plus ou moins obsédants. L’abus est donc un bénéfice recherché dans des situations particulières dans lesquelles l’addict se sent plus à l’aise après l’activation de son comportement addictif. Cet abus est très comparable aux conduites dopantes puisqu’il aide à mieux vivre, à moins souffrir. Contrairement à l’usage, l’abus va modifier l’état de l’individu. Un joueur pathologique mentira pour trouver de l’argent. Il deviendra colérique, agressif, ultra susceptible et parfois même violent. A l’arrêt du comportement, l’addict ne ressent pas de manque insupportable mais un « moins-bien », c’est-à-dire la sensation de vivre moins intensément ou moins facilement. C’est ce qui différencie, entre autres, l’abus de la dépendance.
Toujours progressive, dans les addictions comportementales, la dépendance s’installe dès que l’on ne peut plus se passer de l’objet d’addiction choisi, sous peine de souffrances émotionnelles. Surviennent alors l’état de manque et les syndromes de sevrage. La privation d’une conduite addictive entraîne chez l’addict une sensation de malaise, d’irritabilité, d’angoisse, allant parfois même jusqu’à la dépression : c’est la dépendance psychique. L’addict va même sentir des douleurs physiques pouvant être très violentes, des maux de ventres qui « plient-en-deux », des céphalées « à donner des coups de têtes dans le mur ». 

Une étude des discours en matière de jeu pathologique a permis de montrer par exemple comment se reproduisent, en des termes inchangés, les débats qui, depuis des décennies, opposent en matière de toxicomanie les tenants de “modèles de maladie”, aux défenseurs d’un “modèle adaptatif”.

Le regroupement sous le terme générique d’addictions d’un vaste ensemble d’entités diverses est en fait de moins en moins discuté ; il existe en effet de puissants arguments en faveur de l’adoption de cette notion d’addiction comportementales au sens large, où se regroupent toutes les addictions sans produits psychoactifs :

- tout d’abord la parenté entre les divers troubles, définis par la répétition d’une conduite que le sujet suppose prévisible et maîtrisable, s’opposant à l’incertitude des rapports de désir, ou simplement existentiels, interhumains ;
- ensuite, l’importance des « recoupements » (overlaps) entre les diverses addictions : on constate la fréquence de dépendance sexuelle, de cyberdépendance, voire des troubles des conduites alimentaires, chez les joueurs pathologiques ;
- la fréquence, régulièrement notée, de passages d’une addiction à une autre : un addict comportemental peut par exemple devenir joueur, puis acheteur compulsif, puis dépendant sexuel, puis cyberdépendant etc.…
- enfin, la parenté entre les propositions thérapeutiques : l’existence des groupes d’entraide, basés sur les « programmes en douze étapes » de type Alcooliques Anonymes, est ici particulièrement importante car ils appliquent des principes identiques de « rétablissement » aux dépendants affectifs et sexuels, aux joueurs pathologiques, aux « outremangeurs », etc… principes acceptés par tous les membres de ces associations appelées aussi fraternités traduction française de fellowship.

Il est à noter que certains craignent que la spécificité du discours sur la toxicomanie ne se dissolve dans la large notion d’addiction ; la toxicomanie serait ainsi banalisée et ramenée au niveau d’une simple habitude gênante ou socialement « incorrecte »: on n’établirait plus de différence entre l’existence tragique du « junky » à la Burroughs, le goût immodéré pour le chocolat ou l’habitude de regarder la « star academy » à la télévision. D’autres craignent au contraire que des pans entiers de l’existence et des habitudes plutôt anodines ne deviennent des équivalents de maladie, et que la médecine, par le biais de cette extension du concept d’addiction, en vienne à « traiter » l’ensemble des conduites humaines.

Il s’avère donc essentiel de disposer de définitions claires, et de faire la part entre la réalité (même subjective) de l’aliénation, de la perte de liberté du sujet, et la métaphore, la comparaison entre des habitudes simplement gênantes, et enfin la forme indiscutable des addictions : c’est-à-dire la dépendance au-delà de l’abus même régulier caractérisée par la perte de la liberté de s’abstenir mais surtout le fait que cette dépendance soit devenue le centre - à la fois but et moyen - de toute l’existence psychique, physique et sociale du sujet.

On l’a déjà dit, Aviel Goodman (1990) avait proposé une définition conforme à celles du DSM, en utilisant des critères d’abus de substances psychoactives et du jeu pathologique. Cependant le risque d’extension infinie, de dérive, de passage de la métaphore à l’explication justifie sans doute le fait que les addictions comportementales n’ont pas encore une place en tant que telles dans les manuels statistiques des maladies mentales.

Ici encore, l’importance du discours de type « 12 Etapes » est particulièrement nette. Les mouvements d’entraide, qui recourent à un concept très métaphorique de maladie, soulignent ainsi la dimension de souffrance personnelle, de sentiment subjectif d’aliénation des sujets : alcooliques, toxicomanes, joueurs pathologiques, boulimiques ont l’impression d’être la proie d’un même processus qui leur échappe.

©Olivier Kramarz, Coach Addictologue - Contact : coach.addictologue@gmail.com –Février 2007